Maladie d'amour

Les femmes s’abandonnaient entre ses mains comme lors d’un rendez-vous d’amour. Le Dr Costes s’était fait connaître par une technique particulière de lifting qu’il avait lui-même mise au point, à la suite de longues années de recherche et d’expérimentations sur l’élasticité des tissus. Après ses interventions, les visages rajeunissaient de vingt ans sans que soit perceptible le moindre de ces effets de tension qui rendent immédiatement reconnaissables ceux ayant été soumis à la chirurgie esthétique. Il sculptait aussi les corps, donnait du volume à une poitrine sans qu’elle ressemble à deux ballons gonflés d’hélium. Il avait le don d’effacer les traces et la lourdeur des années. Grâce à une longue pratique de la méditation, il apprenait, chaque jour, à se confronter à celui qu’il considérait à la fois comme son ennemi et son meilleur allié : le temps.

Le Dr Costes avait une passion pour son métier. C’est au bloc opératoire qu’il se sentait vraiment exister. Embellir et transfigurer les êtres, les débarrasser de leurs complexes, corriger les défauts, leur offrir une image idéale d’eux-mêmes, tel était son sacerdoce. Le chirurgien ne s’accordait jamais de vacances.

Les grands artistes adorent laisser, derrière eux, des situations où rien n’est réglé, comme s’ils prenaient un malin plaisir à ce que tout le monde se batte autour de leur dépouille, et qu’ils meurent à leur tour avant d’avoir pu toucher un centime. Une autre façon de se rendre immortel.

Un conflit dans une succession n’en finissait pas. Une famille se déchirait autour de l’œuvre d’un peintre célèbre qui laissait, en mourant, un héritage considérable. Il y avait de très nombreux ayants droit, dont certains n’étaient apparus qu’après sa mort. Des gens atroces.

Le pire, rétrospectivement, ce n’était pas qu’il soit marié, même si, bien sûr, elle en avait souffert. Ce qui l’avait dévastée, c’était de découvrir qu’il lui mentait sans cesse.

La nature était donc plus forte que ses états d’âme. Celle-ci la préparait, de cette façon, à la rencontre avec l’homme de sa vie, le vrai, celui qu’elle méritait depuis toujours.

Comme si son histoire, sans histoires, ressemblait à une lithographie alors que celle d’Alice était remplie de matière, de couleurs vives ou sombres, tel un grand tableau abstrait, réalisé à coups de larges aplats de pinceau.