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EAN : 9781140389378
412 pages
BiblioBazaar (06/04/2010)
4.5/5   2 notes
Résumé :
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
C'est une vie bien absurde et drôle que celle de Mathurin Raclot : un classique et caricatural paysan avare.

Pourtant, en sa jeunesse, il eut été difficile de dire que ce sage et discret travailleur n'était qu'un méprisable paysan rapace et odieux :

"Pendant que les jeunes gens de son âge dépensaient une bonne partie de ce qu'ils gagnaient à fréquenter les cabarets ou à courir les fêtes des environs, Mathurin, lui, amassait, amassait. Il n'était d'aucune partie de plaisir, ne se livrait à aucun amusement, jamais il n'avait mis les pieds dans un bal. Il n'aimait pas aller avec les autres, non qu'il les dédaignât, mais parce qu'il lui eût fallu dénouer les cordons de
sa bourse. 
Les bonnes gens, qui ne connaissaient ni les idées ni les sentiments de Mathurin, faisaient son éloge : c'était un jeune homme comme il n'y en avait guère ; on le donnait comme un modèle de sagesse."

Il amassait ainsi des sommes ridiculement faibles mais suffisantes pour rendre service à ses prochains : en accordant des prêts usuraires pour un rendement de 20% tous les 6 mois en moyenne. A force de se sacrifier si généreusement pour les autres en multipliant gracieusement des prêts fortement usuraires, sa fortune lui permit d'acquérir un maximum de terres. Patient et bassement opportuniste, il n'y avait pas pour lui meilleur moment pour acheter à bas prix qu'après de bonnes intempéries rendant temporairement impossible le remboursement, par les paysans du coin, des prêts qu'ils avaient contractés. Et plutôt que d'avoir la faiblesse de consentir des facilités de paiement ou report d'échéance, il se hâtait au contraire d'acheter à moitié prix une exploitation entière, ferme et terres y compris, à ses débiteurs qui n'avaient aucune alternative. Et ainsi, les ex-propriétaires fermiers pour lesquels il travaillait plus jeune, lui étaient désormais subordonnés et Mathurin Raclot se contentait seulement de gérer ses nombreuses exploitations.

En signe suprême d'écrasement et d'humiliation, il fit l'acquisition d'un château qui surplombait le village d'Aubécourt, rappelant avec splendeur sa toute puissance féodale. Il était craint, respecté, mais profondément haï par les habitants mais cela n'affectait pas Mathurin qui se satisfaisait pleinement de sa solitude :

"Mathurin Raclot vivait seul dans son château, comme un ours dans sa tanière ; il est vrai que, n'étant invité nulle part, il n'avait personne à recevoir. Il se plaisait ainsi. Il lui suffisait de pouvoir jeter les yeux sur les vallons et les coteaux, aussi loin que sa vue portait. Et, quand il s'était dit, avec un sourire sur les lèvres : « Tout cela est à moi ! » il était content."

Comme toutes grandes opérations dans la vie de Mathurin, le mariage ne se fit pas sans un malicieux esprit de calcul. S'il avait accepté une modeste « journalière » (l'équivalent d'ouvrier agricole), Céline Noirot, pour épouse, c'est qu'elle était fortement susceptible d'hériter de sa tante ayant fait fortune dans le commerce de vin à Paris et qui n'avait pas d'héritiers autres que des frères et soeur. On a jamais vu Mathurin plus aimable envers une personne qu'avec sa belle-tante, invitée au mariage, à toute sorte de réception, toujours avec soin et sans compter les dépenses, et qui évinça de sa succession ses frères et soeurs par un legs universel dont sa nièce était seule bénéficiaire.

Céline, qui avait accepté sans nulle plainte les austères conditions de vie du couple, en subissait néanmoins les stigmates. Son corps se défraîchissait, se fanait lentement et inexorablement jusqu'à une mort précoce :

« Dans le ménage, tout manquait : le linge, les effets d'habillement et le reste. Les pantalons et les blouses de Mathurin n'étaient plus que pièces et morceaux ; ses chemises étaient des loques.
Céline, qui avait été autrefois un peu coquette, c'est-à-dire très soigneuse de sa personne, était mise comme une mendiante ; elle n'avait qu'une seule robe en assez bon état pour aller à la messe le dimanche. Quand elle se hasardait à dire à son mari : - Mathurin, il faudrait pourtant nous acheter ceci et cela. Mathurin haussait les épaules et répondait : Nous avons le temps ; on est toujours assez bien pour travailler aux champs ; usons, usons encore.
Et la femme passait de longues heures de nuit à repriser, à raccommoder, à mettre pièce sur pièce. Chez eux, ils buvaient de l'eau, toujours de l'eau ; cela n'empêchait pas Mathurin de dire que, pour un travailleur, le vin bu chez les autres était une excellente chose.
Céline vieillissait à vue d'oeil, sa fraîcheur de jeune fille s'en était allée au grand hâle, des rides précoces se montraient sur son front et son visage, elle perdait ses cheveux et ses dents, elle avait la peau sèche, tannée, et ressemblait déjà à un squelette.
Mathurin, lui, était toujours le même ; pas un cheveu de moins, pas un poil blanc dans sa barbe. L'excès de travail, la fatigue, c'était son élément. Cet homme semblait avoir été bâti pour vivre cent ans. Il était de fer. »

La perte d'une partie du bétail eut causé plus d'émoi à Mathurin que le décès de sa femme : « Cela ne lui causa pas une grande émotion, car il se portait à merveille et n'avait pas du tout peur de la mort. D'ailleurs, pour se consoler, si tant est qu'il en ait eu besoin, il avait de l'argent, beaucoup d'argent ; ses tiroirs, ses coffres en étaient pleins. »

A l'instar d'Eugénie Grandet, Mathurin a une charmante fille unique nommée Marthe, dévouée et bien éduquée qui flattait si bien la vanité et l'orgueil du vieux paysan qu'il lui sacrifia même quelques économies pour qu'elle soit parée de bijoux étincelants.
Mais cette douce et sensible Marthe « disposée à aimer tout le monde, sentait avec chagrin qu'elle n'avait l'amitié de personne. »
Elle eut, du moins, la consolation de rendre visite à une ancienne amie du couvent, laquelle lui présenta son frère, ingénieur des ponts et chaussés et dont le père était général.
Un jour, à la demande de sa fille, Mathurin accepta pour la première fois de réceptionner des personnes en son château : « Voir pleurer sa fille n'était rien pour Raclot, cependant il se laissa convaincre en se disant que ça ferait bien dans le pays quand on saurait qu'il recevait chez lui, comme amis, un général, un ingénieur des ponts et chaussées, et Mlle Mathilde de Santenay, une amie intime de sa fille. »

Réception faite, on vint lui parler d'une chose qu'il ne soupçonnait point : le mariage de sa fille. Il craint immédiatement les éventuelles conséquences que ce mariage pourrait porter à son patrimoine. Il est rassuré fort heureusement par la démarche sincère du général de Santenay : « Du moment qu'on ne lui parlait pas de rendre des comptes à sa fille, que même on ne demandait pas une dot, ça lui était parfaitement égal de la marier. D'ailleurs, un peu plus tôt, un peų plus tard, il fallait en venir là. Il n'avait pas à attendre, attendu que plus tard il pourrait se trouver en face de gens moins désintéressés que M. de Santenay et son fils. »

Il y eut tout de même un dot mais réduit à sa plus stricte décence et négociée d'un discours habile : « Assurément, Monsieur le général, je ne peux guère donner à Marthe ; l'argent est rare, très rare chez nous autres paysans. Sans doute, j'ai du bien au soleil ; vous avez vu mes fermes, mes enclos ; mais, s'il fallait vendre, tout cela serait acheté pour rien, ce serait la ruine. »

Parents, fiancés, tous étaient ravis de voir naître ce beau mariage, y compris le père Raclot qui se débarrassait à bon frais de sa fille.
Cependant, un jour, au détour d'une conversation interceptée, Marthe écouta avec attention les cruels propos qui se propageaient à l'encontre de sa famille :
« - Sais tu que ce gueux de Mathurin Raclot va marier sa fille ?
- Ah ! le vieux misérable, le vieux coquin, l'infâme usurier, il va marier sa fille ! Mais il y a donc des garçons assez canailles pour épouser des filles de voleurs ! »
(…)
« Mathurin est riche, sa fille sera riche aussi, on la verra se pavaner dans son luxe payé par les souffrances et les larmes des veuves et des orphelins que son père a ruinés (…) »

Marthe réalise amèrement que les faits à l'origine de ses rumeurs sont exacts : « Je suis la fille d'un usurier, d'un de ces hommes dont on ne parle qu'avec mépris, dont on se détourne avec horreur et dégoût. Et ces bijoux, fit-elle tristement, ces boutons à mes oreilles, et cette bague à mon doigt... Oh ! ces bijoux, il me semble qu'ils me brûlent ! »

De convictions fermes, résolues, et animée de ce dégoût pour la fortune mal acquise de son père, elle rompt brutalement les fiançailles sans explications et indique à son père qu'elle quitte le château pour le couvent afin d'y être institutrice. Son père tout en étant surpris, apprécie ce brusque revirement, quoique illogique à ses yeux : « La première pensée qui lui était venue en entendant Marthe déclarer qu'elle ne
voulait plus se marier, ce fut celle-ci : Mais je ne demande pas mieux ; si elle ne se marie pas, les cinquante mille francs (la dot) restent dans mon coffre. » Il ne comprend encore moins pourquoi elle n'emporte pas ses bijoux ou belles robes, ou qu'elle n'accepte pas quelques billets de sa part en cas de nécessité : non, elle ne veut rien qui puisse rappeler son indigne héritage et n'emporte qu'une maigre valise.

Un tel évènement ne pouvait qu'enflammer les folles rumeurs et la médisance sur son comte dans le village :

« Tout de même, M. Georges de Santenay ne pouvait pas épouser la fille de ce vieux grigou de Raclot »
« Elle n'avait pas autre chose à faire que d'aller cacher sa honte quelque part »
« Elle est jolie et instruite, c'est vrai, mais elle n'est, après tout, que la fille du paysan Raclot. Raclot, Raclot, quel nom ! Comme ça sent le rustre et la grossièreté ! »

On lui fit même l'odieuse injure de rapprocher son départ avec celui d'un clerc de notaire, qui par coïncidence, avait quitté le village le même jour :
« elle prêtait l'oreille aux paroles d'amour d'un autre, de ce clerc de notaire ! »

Personne n'eut plus de nouvelles de Marthe jusqu'au décès de son père. Frappé d'une attaque de paralysie, il n'eut, peu avant sa mort, que l'unique regret de n'avoir pu acquérir à temps une énième prairie à bas prix auprès d'un propriétaire en faillite : "Il ne songeait qu'à une seule chose : à la prairie de la Saulaie. Les seuls mots compréhensibles qui s'échappaient de ses lèvres déjà glacées étaient ceux-ci, qu'il répétait constamment : Je l'aurai ; il a beau faire, il y viendra ! »… La terre, toujours la terre, toujours la fureur d'augmenter son bien ! »

A la honte des obsèques qui n'ont pas attiré foule derrière le cercueil de M. Raclot, Marthe dut subir encore les bas commérages venant de son attitude énigmatique : son retrait et son silence que personne n'expliquait.
Ne la voyant pas en son château, les villageois concluaient qu'elle se réfugiait avec sa fortune honteuse et qu'elle n'aurait jamais la moindre compassion pour les victimes de son père.

A l'étonnement général, Marthe préparait, à l'aide d'un notaire, une convocation en l'office notarial à toutes les familles spoilées par son père pour en restituer pleinement les biens que son père avait acquis. Les propos prosaïques du notaire ne changeaient rien à sa résolution : elle renoncerait à toute la succession, et après entière restitution des biens, le reste des avoirs financiers serait consacré à une oeuvre de charité.

Les villageois, qui jusqu'ici s'étaient montrés médisants, acclament d'honneur la jeune fille qui est considérée de façon unanime comme une véritable sainte.
Ce faisant, il semble naturel que Marthe soit incitée à revenir sur son projet de mariage qu'elle avait tant désiré. Tout se réalise finalement comme prévu en une cérémonie pleine de bonheur et de joie.

Ce dénouement heureux, d'une morale facile, trop sirupeux et idéalisé pour en faire un grand roman, n'exclut pas une observation fine par l'auteur du milieu provincial.
L'auteur a eu l'habilité, en dressant le portrait de ce paysan avare, de ne pas le vouloir foncièrement méchant. Il n'a jamais un mot brusque, n'est jamais en colère et on s'attache presque à ce bon vieux père Raclot malgré une avarice obsessionnelle.
Le choix des mots est précis mais rarement audacieux ou lyrique ; le style n'a rien de bien particulier mais l'auteur est assurément bon dans le registre comique.
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