La suite, c'est que je vais pas m'excuser de faire la gueule. Ou des conneries. Je veux pas devenir un de ces adultes qui se croient immortels. Tu sais, ceux qui nous encouragent à prendre la vie du bon côté, qui nous orientent vers des études avec débouchés et nous conseillent de manger cinq fruits et légumes par jour. Pourquoi je ferais ça ? À la fin, je vais crever avec les poissons. Peu importe combien j'aurai été prudent et fonctionnel, tu vois ? La plupart des gens, on dirait qu'ils oublient. La vie, c'est un truc dont on ne se sort pas.
Après, je suis pas sociologue ni rien, mais je crois que ces générations savent pas ce que c'est d'être bombardé à la naissance par crise-financière-crise-climatique-crise-sociale.
Savoir qu'avec un bac +8 on fera de le mise en rayons, on rentrera le soir dans une chambre de bonne à neuf cents balles par mois, on déballera notre vie de merde sur les réseaux sociaux, on ira se bourrer la gueule avec des potes, discuter cynique de crise-financière-crise-climatique-crise-sociale, on arrivera peut-être à niquer une meuf, attention les maladies, et le lendemain on recommencera en entendant parler de crise-financière-crise-climatique-crise-sociale.
Tout ça avec des adultes qui nous regardent de trav'.
Postillonnent des :
- Quand on veut on peut, nous par exemple, on s'est démenés.
- C'est pas normal d'être cassé au Xanax à dix-sept ans.
- On pige pas vos histoires de vegan, queer, burnout, et-je-ne-sais-pas-ce-que-vous-allez-inventer.
C'est au degré de connerie de certaines phrases qu'on mesure combien quelqu'un nous plaît.
Et Elle, elle me plaît à me fracasser la tête contre le mur.
Alors la vague progresse, elle m’obstrue la trachée, elle se dilate. Et ça me gicle par les yeux. De grosses, grosses larmes de gosse qui me déforment les traits.
Je regarde dehors.
Le ciel est gris, sale de flaques d’arbres. Des feuilles rouges ou jaunes pétillent parfois à travers les nuages – ils ont l’air faits de boue. Le soleil se planque derrière. Blême, fatigué. À croire qu’il est comme tout le monde, il chope la crève en automne.
Chacun de tes gestes est précis, mais désinvolte en même temps. Tout me plaît chez toi. Ton ventre, ton prénom, l’odeur de tes cheveux. Ou de ton parfum, je sais pas exactement. Les deux. Et j’apprécierais vraiment qu’un détail nul te rende moins douloureuse.
Il se passe un truc sale quand on grandit. Un voile de poussière qui ternit et complique les choses.
Ça me traumatise, sa façon d'entrer en contact avec les choses. Ma sucette, l'eau, son top taché. Quand elle fait des gestes, c'est doux. Ses mains sont des abeilles miniatures qui butinent.
Cette meuf, je pourrais la regarder toucher des objets pendant des heures.
Des fruits, un Rubik's Cube, des cailloux.
Moi.
Tiens, un flash.
Un truc de gamin ; un autre moi-même.
Y a une odeur de pâte à modeler, la sensation d'un tissu à imprimés géométriques sous mes doigts - le fuseau d'Angie - et une crépitation dans le ventre, au générique des Razmoket.
La vie était simple.
Genre, évidemment. Le bonheur se résumait à bouffer des Chocapic.
Mais surtout, la vie était plus réelle. Je sais pas, immédiate. Et puis en couleurs. Il se passe un truc sale quand on grandit. Un voile de poussière qui ternit et complique les choses.
- Ouais, eh ben?
- Eh ben... chacun de tes gestes est précis, mais désinvolte en même temps. Tout me plaît chez toi. Ton ventre, ton prénom, l’odeur de tes cheveux. Ou de ton parfum, je sais pas exactement. Les deux. Et j’apprécierais vraiment qu’un détail nul te rende moins douloureuse.