Citations sur Sillage (16)
Chez les parfumeurs, il existe deux espèces. Les techniciens, qui ont un talent relatif et le mettent au service de l'industrie. Et les créateurs. Eux ne se soumettent qu'à leurs élans, leurs névroses. Sans doute ont-ils l'ambition vaniteuse de dresser une œuvre ?
Ça me chamboule d'être avec : je la connais pas. Est-ce qu'on a des points communs ? Elle est abîmée. Peut-être que c'est mauvais ? Que je devrais fréquenter des meufs équilibrées ? Moi, on me parle et j'éponge les peines. Je suis un garçon buvard. Du coup, agoraphobie pendant six mois. Le lycée par correspondance, on adore. C'est ma génération. On est pessimistes, flippés. Les adultes nous le reprochent. Sauf que depuis des années, les événements nous prouvent qu'on a raison de flipper. Du style pandémies, violences, climat, guerres, lointaines ou pas, extinction de la biosphère, crises, crises, crises. Du style marcher dans du goudron en gelée et des abeilles qui agonisent. Je soupçonnais que le monde était dangereux. On me l'a répété et martelé. J'ai archivé l'info. pg 249
— Tu sais, huit pensées positives sont nécessaires pour neutraliser une pensée négative.
Il neigeait sur Paris; une valse de flocons argentés. En sept semaines, Jade et Victor ne s'étaient presque pas quittés. Quand elle bossait, il rentrait chez lui, se douchait, sélectionnait des habits propres. Puis il attendait devant Alice Caprices. Victor étudiait la philosophie à la Sorbonne, deuxième année. Manifestement, il ne glandait rien. Studette dans le 3ème arrondissement, parents en banlieue. Victor gribouillait au fusain.
Quand on est inspiré, on n’a pas le temps d’être poli. L’impolitesse est le moteur de
la création. Sers-toi de ça pour Sillage, tu en feras un chef- d’œuvre.
Jade s’humecta les lèvres.
— Ça justifie tout, selon vous, la création ?
— Disons que ça autorise quelques dérives.
— La violence ?
— Bien sûr.
Dans le cœur de Jade, la foi jaillit.
— Vous me le jurez ?
— Je te le jure. Fonce, ma chère apprentie.
— Ça s’appelle la synesthésie.
— Hmm ?
— Associer des couleurs à des sons. Ça s’appelle la synesthésie.
On est pessimistes, flippés. Les d’aulnes nous le reprochent. Sauf que depuis des années, les événements nous prouvent qu’on a raison de flipper. Du style pandémies, restrictions, climat, pénuries, guerres, lointaines ou pas, extinction de la biosphère, milliardaire sociopathes, crises, crises, crises. Du style marcher dans du goudron en gelée et des abeilles qui agonisent. Je soupçonnais que le monde était dangereux. On me l’a répété et martelé. J’ai archivé l’info.
Pourquoi t’envisages automatiquement le pire, Tim ?
Qui m’a offert la possibilité d’envisager le meilleur ?
Victor épousa son visage de ses paumes.
— Tu vois ?
— Quoi ?
— Démissionne d’Alice Caprices ! Crée tes parfums
à toi !
— Comment on l’appellerait, celui-ci ?
— Hmm... ? Aube tendre ?
— Ouais. Ou Domino.
— Le flacon sera mauve et gris perle ?
— Promis.
— Selon vous, Jade, les parfums ont cette faculté ? Augmenter nos humeurs ?
— Ils ont cette fonction. Exprimer, avertir. Le sillage, c’est l’identité.
Des gens, des gens, des gens. Des lueurs rousses aux fenêtres, ces millions de carrés abritant des récits auxquels Jade n'avait pas encore accès. Voilà ce que lui inspiraient les villes : des mille-feuilles de goudron et d'individus.