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Critique de fulmar


Les oiseaux ont un avantage sur les humains, ils peuvent voler, regarder le monde de haut, et prendre la mesure des enjeux planétaires.

« Symbole de la liberté absolue, l'oiseau se joue de la pesanteur terrestre pour oublier son poids et se perdre dans l'espace aérien. »

Qui n'a pas rêvé d'en faire autant, afin d'échapper au terre à terre, planer un court instant pour oublier les dégâts du sol, et souhaiter atterrir dans un lieu vierge de tous méfaits ?
Faire l'éloge des oiseaux de passage, c'est arrêter le cours de sa vie, se mettre en pause en mode hypnose, et espérer capter, par la vue ou par l'ouïe, la beauté éphémère d'un moment privilégié.

« Nous avons, plus que jamais, le devoir de capturer des fragments de l'éclat de ce monde que nous traversons à la hâte. »

Ils sont de passage, nous ne sommes pas sages, adoptons la zen attitude, massage et décrassage, tel est le message.

« Cette beauté qui resplendit dans la fugacité, il nous faut tenter de la retenir et absolument la préserver tel un trésor pour les générations futures. »

Les pensées d'un ornitho perché, ça me branche. Faire l'éloge des oiseaux, c'est comme chercher les loges des pics, trouver un trou dans le tronc, c'est attendre l'inattendu, ça tombe à pic.

En choisissant ce livre dans la liste de la masse critique non fiction, je sentais que je partais dans un monde connu, mais sans me douter que l'auteur me ferait telle impression.
A chaque phrase, à chaque mot, tel un effet miroir, j'y retrouve toutes les sensations vécues au cours de ces décennies, solitude et exaltation, contemplation et béatitude, instants de profonde harmonie au contact de nos compagnons zélés.
Comme je l'ai déjà écrit, transcrire la nature par l'écriture n'est pas l'apanage de tout naturaliste. On peut être un observateur patenté, mais pas tenté par la transmission. Entre un compte-rendu scientifique et un récit poétique, il peut y avoir autant d'écart qu'entre les lieux d'hivernage et de nidification de la plupart des oiseaux migrateurs.
Non seulement Jean-Noël Rieffel atteint ce compromis entre le fond et la forme, mais il ponctue son propos de références littéraires, voire musicales, qui raniment des souvenirs de lecture et d'écoute et font ressurgir toute une vie cachée dans le feuillage, comme si page après page, les feuilles tombaient une à une pour rafraîchir la mémoire et faire réapparaître les plaisirs d'antan.
Il est perspicace et ça m'agace, il met les mots en verve et ça m'énerve, il a une pensée érudite et ça m'irrite !
Ne serait-ce point un brin de jalousie qui éclôt dans mes propos ? La coquille s'est fendue, le caractère sort de l'oeuf, envieux et contrarié, à cause d'un collègue ornithologue qui m'a devancé et s'est installé sur mon territoire, en avance sur la saison, peut-être dû au réchauffement climatique.
Ce quadragénaire génère de l'exaspération autant que de l'estime, à peine à la moitié de sa vie et déjà autant de découvertes et de considérations, c'est frustrant. Je prends la mouche, celle du coche, ou plutôt de la coche, au vu du nombre d'espèces observées et cochées dans ses notes.
A propos de notes, il est également adepte des oiseaux chanteurs, à la recherche et l'écoute de l'arrivée du rossignol, pas le livre perché sur un casier, bien en évidence mais invendable, mais celui qui file au mail, dans l'espoir de trouver une partenaire, invisible au regard, juste détectable à son chant saccadé et percutant. Un interlude sur la lande, entre d'autres sons artificiels, pétarades ou alertes téléphoniques, qui perturbent l'attention et brouillent les résonances musicales.

« Les oiseaux sont des guides qui nous exhortent à combattre cette crise de la sensibilité, à vivre cette expérience par l'art de l'attention. Ils nous amarrent au vivant ! »

D'aucuns diront qu'ils perturbent le sommeil de l'humain, en s'évertuant actuellement à chantonner dès cinq heures du matin. Horreur de l'aube naissante, non, aurore, pas boréale, mais belle et réelle, inscrite dans le vivant .

« Face aux crises que nous traversons, il est rassurant de voir la nature perpétuer ses cycles, avec la régularité d'un métronome et une incroyable force vitale, en faisant fi de nos maux, de nos blessures. »

Racontant quatre décennies dans la nature, le vétérinaire de formation, devenu directeur d'un Office Français de la Biodiversité régionale, agrémente ses observations de considérations plus philosophiques, en citant de grands noms de la littérature.

Ainsi, Hermann Hesse :
« Si on se contente simplement d'observer le monde en silence et avec attention, il peut nous offrir bien des trésors dont les gens comblés par le succès et par l'existence n'ont pas idée. Savoir observer est un art admirable, un art raffiné, utile et souvent très plaisant. » (L'Art de l'oisiveté)

En écho au confinement du printemps 2020, une pensée de Philippe Jaccottet :
« Je ne voudrais être rien d'autre qu'un homme qui arrose son jardin et qui, attentif à ces travaux simples, laisse pénétrer en lui ce monde qu'il n'habitera pas longtemps. »

Les chapitres de son récit suivent l'ordre chronologique et l'évolution de la société. La distraction, l'observation attentive, le sens de la quête, l'écoute des chants, la recherche de l'espèce singulière, le silence dans les cultures, la course à la coche, l'expérience de l'immersion solitaire en terrain hostile, autant d'activités qui procurent plaisir et délectation, et révèlent notre propension à vouloir toujours tout maîtriser, au risque de disparaître sans avoir goûté à cette beauté accessible.

Ainsi, les jeunes ornithologues actuels, connectés à l'extrême, n'hésitent pas à faire des centaines de kilomètres pour photographier la rareté à travers l'écran, sans prendre le temps de contempler le spectacle de la vie animale au lieu de rencontre. Ils enregistrent également les sons des manifestations sonores des oiseaux au passage nocturne, en écoutant les enregistrements le lendemain, devant leur ordi ou le portable à la main, tout en lisant les notifications essentielles parues dans les minutes précédentes.
La culture de l'instantané, la course à l'immédiateté, au risque de passer complètement à côté de ce qui nous reste encore de sublime, l'instant posé dans la nature, qui suppose lenteur, attente et affût.
Relire les écrits d'André Theuriet et Jacques Delamain, réécouter l'introduction du légendaire Köln Concert de Keith Jarrett, voilà de petits plaisirs à réhabiliter d'urgence, pour ne pas sombrer dans le maelstrom ambiant, fait d'agressivité et de démesure.

« Nos enfants ont besoin de grimper aux arbres, de construire des cabanes de bois, de s'imaginer Baron perché, de jouer les aventuriers façon Huckleberry Finn, de se muer en véritables Sherlock Holmes à la recherche des indices laissés par les animaux. L'école du regard ne s'apprend pas sur les bancs de la communale, mais sous les arbres, dans les champs, en bord de mer. »

J'ai bien aimé la prose de l'auteur, naturaliste de passage et passeur de messages, comme les oiseaux migrateurs que l'on retrouve chaque année pour nous rappeler que nous ne sommes qu'une goutte dans l'océan, qu'un grain de poussière sur cette terre, qu'une particule de vie éphémère, espèce qui a plus qu'intérêt à se préoccuper de ses congénères, ailés ou pas, afin de ne pas sombrer corps et âme dans une auto-destruction irrémédiable.

J'ai trouvé un alter ego, je vous propose de lire son livre, récit d'une aventure ordinaire racontée avec une plume chatoyante et acérée, à laquelle il manque juste une pointe d'humour et de dérision.

Merci à Babelio et aux éditions des équateurs pour l'envoi de ce petit bijou.
















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