LES FENÊTRES
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Fenêtre, toi, ô mesure d’attente,
tant de fois remplie,
quand une vie se verse et s’impatiente
vers une autre vie.
Toi qui sépares et qui attires,
changeante comme la mer, —
glace, soudain, où notre figure se mire
mêlée à ce qu’on voit à travers ;
échantillon d’une liberté compromise
par la présence du sort ;
prise par laquelle parmi nous s’égalise
le grand trop du dehors.
Au bord de la nuit
Ma chambre et cette immensité
veillant sur le pays crépusculaire
sont une seule chose. Je suis corde
tendue sur les amples
rumeurs des résonances.
Les choses sont corps de violons
chargés d’obscurité grondante ;
y rêvent les larmes des femmes,
y bouge en dormant la colère
de races entières…
Je dois
être frémissement d’argent : tout alors
sous moi prendra vie,
et ce qui erre dans les choses
aspirera à la lumière
qui, de ma chanson dansante
autour de quoi le ciel ondule,
à travers les minces fentes
languissantes tombe
dans les antiques
abîmes
sans fin…
Des jeunes filles
D’autres iront sur les longues routes
vers les obscurs poètes ;
demandant toujours à quelqu’un
s’il n’en a pas vu un chanter
ou poser ses doigts sur les cordes.
Les jeunes filles seules ne demandent
le pont qui conduit aux images,
et sourient seulement, plus clair que rivières
de perles en des coupes d’argent.
De leur vie, chaque porte s’ouvre
sur un poète
et sur le monde.
Le luth
Je suis le luth. Veux-tu décrire
mon corps, ses courbes belles et galbées :
parles-en comme du galbe
d’une figue mûre. Amplifie
l’obscurité qu’en moi tu vois. Ce fut
l’obscur de Tullia. En son sexe
il n’en fut point autant, et la clarté
de ses cheveux était comme une salle claire.
Pour faire passer en son front
quelques sons elle effleurait mes cordes
et chantait. Et contre sa faiblesse
je me tendais, — mon âme enfin était en elle.
Faut-il vraiment tant de danger…
Faut-il vraiment tant de danger
à nos objets obscurs ?
Le monde serait-il dérangé,
étant un peu plus sûr ?
Petit flacon renversé,
qui t’a donné cette mince base ?
De ton flottant malheur bercé,
l’air est en extase.
J’ai vu dans l’œil animal…
J’ai vu dans l’œil animal
la vie paisible qui dure,
le calme impartial
de l’imperturbable nature.
La bête connaît la peur ;
mais aussitôt elle avance
et sur son champ d’abondance
broute une présence
qui n’a pas le goût d’ailleurs.
À la bougie éteinte…
À la bougie éteinte,
dans la chambre rendue à l’espace,
on est frôlé par la plainte
de feu la flamme sans place.
Faisons-lui un subtil
tombeau sous notre paupière,
et pleurons comme une mère
son très familier péril.
Combien de ports pourtant…
Combien de ports pourtant, et dans ces ports
combien de portes, t’accueillant peut-être,
combien de fenêtres
d’où l’on voit ta vie et ton effort.
Combien de grains ailés de l’avenir
qui, transportés au gré de la tempête,
un tendre jour de fête
verront leur floraison t’appartenir.
Combien de vies qui toujours se répondent;
et par l’essor que prend ta propre vie
en étant de ce monde,
quel gros néant à jamais compromis.