Citations sur Oeuvres 02 : Poésie (38)
L'air maintenant, parfois, semble porter,
tremblante, une charge invisible.
Mais nous, il faut que nous nous contentions
du visible ; si grand que soit notre désir,
d'atteindre, derrière les jours et la vie,
Jusqu'à ce souffle imprégné de retour.
Comment peut-il, le lointain, être si proche
et ne pas approcher pourtant ? pas jusqu'ici ?
Un jour déjà ce fut pareil. Mais sans,
timide, épars dans le vent, ce bonheur
d'avant-printemps. Peut-être le très-grand n'a-t-il
nul droit d'approcher plus : ainsi croîtrait l'année.
Ainsi l'âme croîtrait, quand monte la saison
de l'âme... Nous ne sommes rien de cela.
Par le lointain, ici, nous sommes arrachés,
élevés et à distance anéantis.
LES ROSES
23
Rose, venue très tard, que les nuits amères arrêtent
par leur trop sidérale clarté,
rose, devines-tu les faciles délices complètes
de tes sœurs d’été ?
Pendant des jours et des jours je te vois qui hésites
dans ta gaine serrée trop fort.
Rose qui, en naissant, à rebours imites
les lenteurs de la mort.
Ton innombrable état te fait-il connaître
dans un mélange où tout se confond,
cet ineffable accord du néant et de l’être
que nous ignorons ?
LES ROSES
22
Vous encor, vous sortez
de la terre des morts,
rose, vous qui portez
vers un jour tout en or
ce bonheur convaincu.
L’autorisent-ils, eux
dont le crâne creux
n’en a jamais tant su ?
LES ROSES
19
Est-ce en exemple que tu te proposes ?
Peut-on se remplir comme les roses,
en multipliant sa subtile matière
qu’on avait faite pour ne rien faire ?
Car ce n’est pas travailler que d’être
une rose, dirait-on.
Dieu, en regardant par la fenêtre,
fait la maison.
LES ROSES
18
Tout ce qui nous émeut, tu le partages.
Mais ce qui t’arrive, nous l’ignorons.
Il faudrait être cent papillons
pour lire toutes tes pages.
Il y en a d’entre vous qui sont comme des dictionnaires ;
ceux qui les cueillent
ont envie de faire relier toutes ces feuilles.
Moi, j’aime les roses épistolaires.
LES ROSES
17
C’est toi qui prépares en toi
plus que toi, ton ultime essence.
Ce qui sort de toi, ce troublant émoi,
c’est ta danse.
Chaque pétale consent
et fait dans le vent
quelques pas odorants
invisibles.
O musique des yeux,
toute entourée d’eux,
tu deviens au milieu
intangible.
LES ROSES
16
Ne parlons pas de toi. Tu es ineffable
selon ta nature.
D’autres fleurs ornent la table
que tu transfigures.
On te met dans un simple vase —,
voici que tout change :
c’est peut-être la même phrase,
mais chantée par un ange.
LES ROSES
15
Seule, ô abondante fleur,
tu crées ton propre espace ;
tu te mires dans une glace
d’odeur.
Ton parfum entoure comme d’autres pétales
ton innombrable calice.
Je te retiens, tu t’étales,
prodigieuse actrice.
LES ROSES
12
Contre qui, rose,
avez-vous adopté
ces épines ?
Votre joie trop fine
vous a-t-elle forcée
de devenir cette chose armée ?
Mais de qui vous protège
cette arme exagérée ?
Combien d’ennemis vous ai-je enlevés
qui ne la craignaient point.
Au contraire, d’été en automne,
vous blessez les soins
qu’on vous donne.
LES ROSES
10
Amie des heures où aucun être ne reste,
où tout se refuse au cœur amer ;
consolatrice dont la présence atteste
tant de caresses qui flottent dans l’air.
Si l’on renonce à vivre, si l’on renie
ce qui était et ce qui peut arriver,
pense-t-on jamais assez à l’insistante amie
qui à côté de nous fait son œuvre de fée.