Citations sur La 25e heure (11)
Je soussigné Valentin Magnan, médecin psychiatre à la clinique des aliénés de Sainte-Anne, certifie que M. Lucien Gaulard, né le 16 juillet 1850 rue Vieille-du-Temple à Paris, ingénieur et inventeur de profession, est décédé ce jour à 12h30 d'un arrêt du cœur. Son état est jugé stable et définitif.
- Le plaisir n'est que peu de chose ici, devant la puissance de l'argent, n'est-il pas, monsieur Méliès ? cingle le Khan.
- L'argent ? inutile et indispensable à la fois... il n'est qu'une monnaie d'échange, un étalon sans lequel il est impossible de gagner la course, répond le prestidigitateur en levant les yeux vers le ciel et en faisant sortir des pluies de pièces de son mouchoir.
Eudes Lacassagne n'aime pas l'animal humain. Il ne le comprend pas. Ses congénères, du reste, le lui rendent bien. Être craint par les petites et les grandes pègres de Paris et détesté par ses collègues suffit à le satisfaire. Le reste n'est qu'affaire de jalousie mal placée. C'est le prix de l'excellence et, sans doute un peu aussi, d'une maladresse chronique pour ce qui est d'entretenir des rapports humains.
- Je ne vois pas un chat, aujourd'hui, lance Bertillon pour briser le silence.
- C'est que depuis quelques temps, des gavroches distribuent des tracts pour dissuader les visiteurs de se rendre dans nos cimetières, dit Moiroux. [...]
- C'est quoi cette histoire de tracts ? grogne le Khan.
- Tenez...
Moiroux sort de sa poche des dizaines de papillons imprimés à bas coût, signés d'un logotype de chrysanthème noir :
"Mort tu entre, vivant tu sortiras." ; "La voix des morts tu entendras." ; "Dans nos caveaux sommeillent des flammes. Dans nos tombeaux, s'éveillent les âmes !" ; "Bientôt, très cher, le mort vivra !".
Un dernier papier tombe dans la neige. Bertillon se penche pour le ramasser et lit à voix haute :
- "L'heure de la résurrection approche..."
Bertillon, de peur de perdre une fois de plus son taiseux de mentor (ndr : Lacassagne), s'empresse de mettre lui aussi fin à l'entrevue :
- Merci pour tout, monsieur Goron, je tâcherai de me montrer à la hauteur.
- Tâchez surtout de tenir la longueur, jeune homme, rétorque Goron. Le secret de toute chose est là.
Karl de l'Abey est un homme d'une trentaine d'années, sportif et belliqueux. Il pratique le tir au pistolet, la chasse, l'épée et l'équitation. En somme, son agenda comporte chaque jour toutes les activités d'un bon aristocrate.
Eudes Lacassagne n'aime pas l'animal humain. Il ne le comprend pas. Ses congénères, du reste, le lui rendent bien. Être craint par les petites et les grandes pègres de Paris et détesté par ses collègues suffit à le satisfaire. Le reste n'est qu'affaire de jalousie mal placée. C'est le prix de l'excellence et, sans doute un peu aussi, d'une maladresse chronique pour ce qui est d'entretenir des rapports humains.»
Une main tente soudain d’arracher son attention. Lacassagne relève la tête sur un jeune homme aux rondeurs candides, et observe une paire de lèvres s’agiter sans effet. L’importun n’a rien d’un ouvrier, et l’inspecteur n’en paraît que plus agacé. Il détaille sans ménagement chaque trait de l’anatomie bonhomme qui se tient devant lui sous un chapeau melon à la dernière mode de Paris. Le regard clair, le cheveux doux et soyeux, le visage ouvert d’un garçon à qui la vie semble tout donner, et une stature moyenne qui, aux côtés de Lacassagne, revient à dire petit. L’élégance de sa mise, terminée par un épais manteau de laine, dénote un certain statut social.
- Vous savez, commence Bertillon, j'ai entendu Charlemont dire à son fils que jamais il n'avait vu de tireur aussi précis que vous !
Mais le Khan ne répond pas. Il n'a jamais aimé se voir complimenté. Remercions-nous une pierre d'être une pierre en ce monde ? Pas sans avoir consommé quelques substances répréhensibles par la loi.
Les rues sont désertes en cette heure et saison, dans le quartier de la Porte-Saint-Martin. Chiens errants, chats de gouttière ou brigadiers solitaires sont les seuls êtres à sang chaud qu’il est possible de rencontrer sur les pavés givrés de ces faubourgs ouvriers. Notre homme marche à grands pas, ignorant les dangers de l’hiver. Le froid, le verglas, rien n’entame sa volonté, rien n’entrave la route dont il se fait le maître.