Les amis de Cézanne avaient été surpris de ne pas voir surgir devant ses détracteurs le défenseur qu'on attendait: Émile Zola. Celui-ci avait, semblait-il, toute liberté d'écrire dans certains journaux ce qu'il pensait de Cézanne. Il n'en fit rien; ses idées s'étaient modifiées. Il ne comprenait rien au mouvement que révélait l'exposition et encore moins à l'art de Cézanne. L'artiste, uniquement et spécifiquement peintre, déroutait l'écrivain. L'homme de lettres, par métier sans doute, cherche toujours et partout la littérature: elle est absente de l'oeuvre de Cézanne.
Le public, suivant la direction donnée à l'opinion par les journalistes, était loin d'être sympathique aux exposants. On venait à l'atelier Nadar pour rire un peu. On s'esclaffait devant les tableaux de Cézanne plus encore que devant ceux de Monet, de Renoir, de Pissarro, de Sisley et de Degas. Ceux-ci étaient des farceurs, Cézanne était un fou.
Le 15 avril 1874, une exposition de peinture n'ayant aucune attache officielle ouvrit ses portes au public, boulevard des Capucines, dans les salons que le photographe Nadar venait de quitter. Ces locaux existent encore et leur aspect extérieur a peu changé depuis cinquante-huit ans. L'escalier conduisant aux pièces du premier étage est resté tel qu'il était alors, mais il aboutit à des salles de restaurant. Tel est demeuré aussi l'entresol entièrement vitré sur la façade du boulevard et de la rue Daunou.
L'exposition à laquelle on conviait le public était due à l'initiative d'Edgar Degas et de quelques-uns de ses amis. Ils avaient formé une association sous la raison sociale: « Société anonyme des Artistes peintres, sculpteurs et graveurs », dont le capital avait été fourni en majeure partie par H. Rouart et Degas, et, pour le reste, par la cotisation des exposants qui étaient au nombre de trente.
A ces réunions du Café Guerbois s'instituaient souvent de longues discussions sur l'art, auxquelles Manet, Degas, Desboutin, Duranty, Philippe Burty, Pissarro, Th. Duret prenaient part. Les gens de l'Institut y étaient assez maltraités, comme on peut le penser. Paul Cézanne, qui venait parfois rejoindre Pissarro et Renoir, écoutait d'abord en silence les propos qu'on tenait autour de lui, sans prendre part à la conversation, jusqu'au moment où une phrase, un mot provoquait sa colère. Alors son éloquence était déchaînée en un instant. Furieux, vociférant avec son terrible accent provençal, il disait crûment ce qu'il pensait, mais en gardant cette logique qui ne l'abandonnait pas. Puis, brusquement, il quittait la place sans prendre congé d'aucun des assistants.