Lieutenant Eve Dallas, tome 35 : Démence du crime

Quand on dirige une équipe, certains membres peuvent nous agacer, appuyer sur le mauvais bouton, provoquer des frustrations.

Ceux qui ont échappé à ce massacre en subiront le poids jusqu’à la fin de leurs jours. Il est fort possible que chacun d'entre eux ait tué quelqu’un de sa connaissance, quelqu'un qu’il ou elle appréciait. Voire qu’il ou elle aimait. Si et quand ils le comprendront, comment géreront-ils leur sentiment de culpabilité ? Tuer par obligation, pour protéger une vie, sauver la sienne ou celle d’autres personnes est déjà difficile à encaisser. Alors là...

La plupart, si intelligents, si maîtres d’eux soient-ils, ne le cachaient jamais totalement. Ils avaient des défauts, des manies. Tôt ou tard, leur véritable moi apparaissait derrière la façade.
Le plus souvent, ils vivaient seuls, reclus — comme le proclamaient voisins et collègues interrogés après que le tueur parmi eux avait été démasqué.

Les gens sont malades, Connors. Ta femme te quitte ou t’expédie en prison pour l’avoir battue ? Vise grand. Descends-la, ainsi que ses amis et son amant. Élimine tout le monde puisque tu as les moyens de les forcer à s’entretuer.

Quand bien même il aurait eu une ou plusieurs cibles spécifiques, les dommages collatéraux le laissent indifférent... Le but est potentiellement là. Tuer autant de personnes que possible... L'hypothèse d’un acte politique est peu probable. Si c’était le cas, il l’aurait revendiqué. Donc, c’est personnel, mais pas intime... Ce n’est pas non plus d’ordre sexuel. Ni motivé par l’appât du gain — du moins en apparence...

N’importe qui pouvait être victime d’un meurtre n’importe où et n’importe quand, songea Ève en regagnant le Central. Au fil des ans, elle avait vu les pires horreurs, dues à l’amour, l’argent, le pouvoir ou la vengeance. Ou sans raison. Mais une telle boucherie peignait un tableau encore plus noir, et utiliser les victimes comme armes dénotait un esprit particulièrement tordu.

On traque le moindre indice. On expédie chaque verre, chaque bouteille, chaque assiette, les frigos, les autochefs, le gril — tout — au labo, ou on déménage le labo ici. On inspecte la ventilation, la plomberie, les produits de nettoyage.

De 16 h 30 à 18 heures, le bar, les tables hautes et les tables basses étaient pris d’assaut par les employés, assistants et secrétaires que déversaient les box et les bureaux, petits et grands, du quartier. Certains y échouaient tels les survivants d’un naufrage. D’autres regagnaient la rive à pied, prêts à se prélasser dans les commérages. Quelques-uns ne demandaient rien d’autre que de se réfugier dans un coin pour noyer leur ras-le-bol dans l’alcool.