Certains s'accommodent des régimes autoritaires et d'autres non. Certains arrivent à s'en relever et d'autres non.
Une photo sur la plage prise durant l'été 1946 : le narrateur part de ce souvenir si cher à sa maman Antonia pour nous raconter la vie de cette dernière, après la guerre civile espagnole (1936-1939). Cinquième d'une famille de six enfants, Antonia a vécu une enfance et une adolescence marquées par les privations alimentaires et scolaires, la puissance du patriarcat conduisant les femmes à se réfugier dans la religion (avec l'espoir d'une vie meilleure dans l'au-delà), endurer sans broncher les coups, les grossesses honteuses à cacher, les fins de mois difficiles, les mariages malheureux pour quitter leurs familles.
C'est un album dur, sensible et très beau.
J'ai trouvé pertinent l'angle d'attaque de l'auteur : partir du particulier (Antonia et sa famille) pour évoquer l'universel (la misère et les inégalités hommes/femmes).
Historiquement, cette bd livre un témoignage poignant sur une société fracturée : religion refuge de fortune, analphabétisme, humiliation des femmes, machisme, défaillance du système de rationnement, développement du marché noir et de l'endettement, stigmatisation des républicains et de la pauvreté par la dictature franquiste.
Les passages qui m'ont le plus touchée sont ceux sur la faim (comment la calmer quand tout était rare et hors de prix), la précarité (vivre chez ses parents même en étant mariés) et les violences conjugales : la vie d'une femme avait-elle moins d'importance que la vie d'un homme ? On serait en droit de s'interroger de la même façon aujourd'hui...
Le graphisme vaut le détour : le format à l'italienne, les chapitres aux titres religieux s'inspirant de l'histoire d'Adam et Eve, l'ajout de photos et d'objets réels dans un dessin très fin.
Un album émouvant, instructif, intelligent d'un auteur que je ne connaissais pas :
Paco Roca.