J'avais été émue par Ailefroide, j'avais pleuré devant Loup, et à nouveau, j'ai été assez bouleversée par
La dernière reine.
La dernière reine, c'est l'ourse du plateau du Vercors, au féminin car c'est la mère protectrice de ses petits que l'on découvre presque dans les premières pages dans de superbes planches à l'image de cette couverture où l'ourse ressort sur les nuages blancs et le bleu du ciel, face aux montagnes. Cette ourse pêche dans les rivières, hiberne dans les grottes des falaises, mange les myrtilles, se bat contre les loups. C'est une vie dure, mais sauvage, car ignorée des hommes. La date nous l'annonce, nous sommes il y a moins 100 000 ans lorsque le Vercors n'était peuplé que d'animaux, et que les hommes n'étaient pas là. Les montagnes sont magnifiques et magnifiées par les dessins et les couleurs, avec leurs différentes teintes du coucher ou du lever du soleil, avec les variations du temps et le passage des saisons. Les hommes n'arrivent qu'il y a moins 30 000 ans, mais ils arrivent avec le feu, les chiens, et la violence. La chasse est brutale, sauvage, sanglante.
Les hommes sont les prédateurs ultimes, qui s'en prennent aux animaux comme aux forêts. Les forêts sont défrichées, exploitées pour le profit, débitées en planches de bois. L'homme veut aller toujours plus haut, tout conquérir, tout posséder, à l'image de ces chevaliers du Moyen-Âge qui en font l'ascension en armure, espérant y acquérir de la gloire et des trésors. Si ce n'est pas mentionné clairement du fait du contexte, j'ai aussi pensé à l'exploitation par le ski qui détériore les alpages, et à la fragilité des glaciers, si sensibles au réchauffement.
Edouard est à part, parce qu'il connaît et respecte la nature, ne pêchant ou chassant que pour manger, respectant les jeunes sangliers, ne coupant que le bois nécessaire... Il est à part aussi par ses cheveux roux, son origine sans père, son visage ravagé par la guerre. Alors qu'il sombre dans l'alcool, il rencontre sa reine à lui, Jeanne Sauvage. Un coeur généreux, une artiste bohème, une sculptrice de talent, une femme amoureuse. Plus que sa sculpture d'ourse qui fait effectivement penser à Pompon, ce sont ses sculptures éphémères au coeur de la montagne que j'ai trouvées les plus émouvantes, meules de blés, cairns en pierres, tas de neige... Elle sculpte avec les matériaux qu'elle trouve, dans le respect et l'amour du paysage et de la nature.
Tous les fils narratifs se rejoignent peu à peu, et ont un sens : si j'ai été surprise par les premières pages se déroulant dans la prison de Grenoble ou les scènes dans les tranchées, elles ont un sens, montrer la brutalité et la violence des hommes, par contraste avec le calme et l'éternité menacée de la montagne et la beauté simple des histoires d'amour évoquées. Il y a celle entre Jeanne et Édouard toute en sensualité et en respect mutuel, celle de Jeanne pour l'art et la création, celle d'Édouard pour ses montagnes qu'il transmet à sa compagne. Si l'évocation du Paris bohème est intéressante par son hommage aux artistes -
Cocteau et Soutine, si la violence des tranchées ressort en quelques pages, c'est bien les scènes se déroulant dans les montagnes iséroises qui sont les plus belles.
Une très belle oeuvre, toute en poésie, en délicatesse, pleine d'émotions.