Les loups observent, le ventre tendu par le manque.
La neige s'est réfugiée sur les hauteurs, seules d'étranges coulées blanchâtres persistent, vestiges de l'hiver. Le torrent chargé par la fonte se regonfle d'énergie et son roulement berce à nouveau la forêt. De toutes parts, l'eau jaillit de la montagne. Des cascades puissantes sautent des barres rocheuses, dessinant des gorges profondes où les torrents s'engouffrent, taillant la pierre éternellement. Une eau vive et pure se déverse à profusion vers les basses vallées, une eau miraculeuse que l'homme va souiller un jour. Dans les lacs d'altitude, c'est la débâcle. La glace se rompt libérant un vert d'émeraude, dense et profond, serti par le blanc éclatant des névés. L'herbe se redresse et de ses profondeurs jaillit une multitude de fleurs, avant-garde colorée du printemps. Partout la nature se réveille. Les animaux sont heureux et effarés comme des survivants. Et partout, ça farandole, ça bourdonne. Ça siffle. Ça zinzinule, ça croasse, ça trompette. Ça glapit. Ça hurle. Le troupeau remonte à l'estive.
Le berger et le loup, c'est pas fait pour être ensemble.
car aux mâles de notre culture, on a appris à transformer toute détresse et toute frustration en une seule chose, la colère, pour qu'ils n'aient pas l'air "faibles".
Sans bien réfléchir aux dégâts que cette éducation pourrait faire à l'histoire des sociétés humaines...
(page 103)
Postface de Baptiste Morizot :
Car les loups, à part dans les fables, ne se vengent pas des bergers, et c'est du fait de leur panique que les brebis décrochent : parce qu'elles sont incapables de se défendre face au loup, de lutter ou fuir intelligemment comme le faisaient très bien leurs ancêtres les mouflons sauvages. Et si elles sont folles de terreur face au loup, au point de sauter dans le vide, c'est parce que les bergers les ont rendues inoffensives depuis des milliers d'années, par la domestication, pour pouvoir plus facilement les diriger les tondre, et les manger.
De sorte que haïr le loup lorsque des brebis sautent dans le précipice, c'est oublier dans cette affaire la responsabilité des hommes qui les ont désarmées pour leur propre intérêt.
L'odeur des moutons se fait de plus en plus forte. Irrésistible.
Le troupeau est là.
Les loups observent. Le ventre tendu par le manque. Ils sentent la viande, mais ils ont vu aussi l'homme et le chien.
Il faut attendre la nuit.
Notre Dame des glaciers, faites que je retrouve cette saloperie et que je lui vide les tripes.
(en parlant du loup) Toi, tu ne feras plus chier personne.
Une eau vive et pure se déverse à profusion vers les basses vallées. Une eau miraculeuse que l’homme va souiller en un jour.
- Tu devrais vraiment prendre un portable, Gaspard. On ne sait jamais, s’il t’arrive quelque chose. C’est plus prudent.
- S’il m’arrive quelque chose, je me démerde, ou je meurs... Les chamois, ils n’appellent pas l’hélico. Tu tombes, tu meurs. Alors ne tombe pas.