Je suis l'hiver

Le froid est-il une qualité de l’air ou bien l’air une qualité du froid ? Incrédule, Pampa voit tomber les premiers flocons. Légers, effilochés, mais flocons malgré tout. Il neige, Pampa lève les mains, les ouvre pour sentir le contact de cette neige, et même s’il peut voir les flocons se poser et disparaître sur ses paumes des mains, il ne sent rien. Il lève la tête et là, oui, il sent l’effleurement.

Il sait, il comprend de manière confuse, que parfois la meilleure façon d'apprendre quelque chose sur l'autre n'est pas de voir son regard mais de le sentir sur soi.

Elle se débarrasserait de cette mélancolie, elle aurait envie de rire, de son rire contagieux. Irina sourit rien que d’y penser, elle bouge ses mains au-dessus des flammes, claque la langue de contentement. Et en oublie ce qu’elle devine derrière cette neige. Que dans la plaine, les vivants et les morts se confondent facilement. Je suis l’hiver. Je suis l’hiver. Je suis l’hiver. Je suis l’hiver. Je suis l'hiver.

Avec la faible capacité d’étonnement qui lui restait encore, tandis que la nuit recouvrait les champs, il a pris conscience qu’il ne savait pas seulement être énorme, mais qu’il savait aussi être minuscule. Et que les deux choses, au milieu de ses râles, le tourmentaient tout autant. Alors la nuit a tout recouvert, les champs et lui. Elle avait quelle odeur, cette nuit ? Quelle odeur ont les nuits ? Quelle odeur a la nuit ? Sans le vouloir, Orlosky a tenu quelques heures de plus. Le froid du petit matin l’a emporté et la peur a flotté encore un peu.

Pampa est ainsi exactement le fantôme des cauchemars de l’enfant, un moignon, un nœud de ténèbres qui concentre toutes ses peurs. Pampa est le fantôme de l’enfant mais aussi le sien propre, et il tremble d’effroi car c’est la seule chose que font les fantômes. Trembler et rester.

La plaine où il progresse est un territoire sans mémoire, étincelant. Le peu de constructions qu’il voit au loin semblent surgies du néant et tout aussi prêtes à être absorbées par lui. Il y a un certain courage dans ces maisons solitaires, dans les colonnes de fumée qui sortent de leurs cheminées. Pampa les voit du coin de l’œil, les respecte, mais il préfère ne pas leur accorder une seule de ses pensées.

Esteban riait de son rire facile qui n’était pas silencieux et alors Gretel l’embrassait pour ne pas devenir triste. Mais tous deux avaient trop de temps à tuer et passaient trop de temps ensemble, alors à un moment donné la tristesse, le désarroi, faisaient leur apparition.

Orlosky pousse et enroule. Il parle tout seul comme s’il en avait besoin pour respirer. Quand il a fini, il tâtonne, cherche la meilleure prise et soulève. La voix du géant est un souffle profond et douloureux. « Fourminoire », « givre », « arbresec », « terrier », c’est ce qu’il semble dire, mais il ne dit rien de tout cela. Orlosky porte le corps jusqu’au coffre de la voiture.

Pampa soupire. Il se donne une contenance. Il est encore trop jeune et la vieillesse est pour lui un mystère. Comme s’il y avait en elle quelque chose de pas tout à fait humain.

(...) il regarde de l’autre côté des rails, vers les maisons abandonnées qui, entre la nuit précoce et la neige, semblent être disposées autrement. Dans de meilleures dispositions. De l’une d’entre elles, l’une des plus éloignées, s’échappe une lumière faible et tremblante. La lumière d’un feu qui brûle. Ça veut dire qu’Irina est revenue.