Les anciens du service ne sont plus là. La perestroïka a tout chamboulé. Tu as raison de faire ta vie en Amérique. Mais, si j’ai un conseil à te donner, c’est celui de disparaître très vite. Et ne reviens plus jamais dans les mailles du filet tendu par Karpatchok. Je suis sérieuse, il en va de ta vie Lena! Quant à boire du vin, attends un peu. Tu es aux États-Unis. Si jamais les flics descendent ici et nous voient au volant une bouteille à la main…
Comme à chacune de leurs rencontres, il était subjugué par le charme naturel que la jeune femme dégageait. Bien sûr qu’il ne l’aimait pas. Bien sûr qu’il lui reprochait sa désinvolture et son manque d’enthousiasme. Bien sûr que sa décision de s’en séparer était prise. Mais il ne pouvait s’empêcher de goûter l’instant, de la sentir près de lui, à sa portée, de la renifler, de pouvoir presque tendre la main pour la toucher, la palper.
Je vous rappelle que nous sommes aux États-Unis. Ici, il n’y a pas de place pour l’ambiguïté, même au sein des activités diplomatiques. Tout est régi par des conventions de travail. Ne fût-ce que pour louer un appartement ou gérer mon compte en banque, il me faut fournir des documents professionnels sans lesquels je suis totalement désarmés.
Mais Lena remarqua que c’était toujours le même sourire qui revenait sur les lèvres de son interlocuteur, un sourire stéréotypé qui se voulait rassurant, chaleureux et mielleux, mais qui était en contradiction totale avec le regard insidieux, sombre, glacial, aux confins d’une rage imprévisible, probablement meurtrière.
Il faut toujours prendre ses précautions. Je suis sûre que Karpatchok nous a fait suivre. Moi, j’ai ma vie, et ce n’est certainement pas lui qui va me la dicter.