Peut-être que la tranquillité d’enfance qu’offre l’amour partagé m’a rendue inadéquate aux richesses de l’inconnu, de l’imprévu et de l’aléatoire dont la vie peut être faite. Peut-être que j’aurais été plus débrouillarde si j’avais été moins aimée et si j’avais moins aimé en retour.
Les fantômes nous chatouillent mais dès qu’on les appelle ils répondent pas, ils font juste mal.
La seule chose que j’aurais pu raconter, c’était l’histoire de mes vies parallèles, celles qui viennent contre mon gré cogner et s’infiltrer sous ma peau, seulement, je me voyais mal en train de déballer ce qui se trame à l’intérieur de moi et me tourmente. J’admirais mes compagnons de route qui l’un après l’autre venaient bégayer et trembler en pleine lumière, mais je n’étais pas pressée d’exposer mes pathologies.
Ça a été une seconde naissance, tu découvres que la vie peut être belle, tu regardes tout comme si c’était la première fois, les plantes par exemple, avant tu t’en fichais complètement et là tu découvres, t’es comme un bébé qui reçoit une affection énorme, pas comme si Blaise était un parent, ça serait bizarre de dire ça, mais quand même, il m’a donné une affection comme si elle venait de très loin et qu’elle s’était construite pendant des années avant que je le connaisse, tellement forte que ça panse tes blessures parce que l’amour réciproque t’offre la possibilité de ne pas être tout le temps tourné sur toi-même, l’amour réciproque c’est le chemin vers ce qui est à voir, ce qui est intéressant, tout est intéressant si on a le temps et l’esprit suffisamment libre pour le voir et voilà ce que j’ai appris et que j’ai continué à apprendre en découvrant des choses tout à fait nouvelles pour moi.
Facile d’être un héros quand on prend aucun risque.
On n’a pas l’impression que la chance est venue se pencher sur ton berceau quand même ! On a plutôt l’image d’une sale petite figure qui t’aurait regardée diaboliquement pour t’emporter vers le pire.
J’ai dû quitter l’école, et à quatorze ans j’ai commencé comme bonne. On te fait bien sentir que t’es là pour servir, que t’es bête parce que t’es pas instruite, on te traite mal. Tout ce que j’ai appris, je l’ai appris en cachette. Par exemple je savais pas lire et pas écrire mais toute seule le soir je déchiffrais les journaux, je recopiais les lettres. Maintenant, j’écris avec plein de fautes d’orthographe mais je sais lire.
On exposait le territoire de nos vies parce qu’on croyait non seulement à la puissance du verbe, mais à l’archéologie, à la géologie, à la spéléologie comme modes d’explication de la surface. Alors on passait notre temps à osciller entre des déambulations superficielles, légères, fines traces sur la neige, et des coups de pioche assénés avec une sorte de ferveur rageuse sur les vieilles souches ancrées et indéracinables.
On ne pouvait pas trop s’attendrir sur le destin d’un enfant de six ans contraint de voir jour après jour sa mère se détruire, on devait laisser le fils en arrière sans quoi c’est la personne même de Macha qu’on allait perdre. J’ai dit qu’on devait lui faire confiance, la prendre au sérieux, c’était le contrat. Si on ne lui donnait pas notre assentiment, ça servait à quoi qu’elle parle?
Même si tu veux pas, t’es obligé de mentir, tout ce que tu avances et tout ce que tu promets, c’est factice, tu jures que tu recommenceras pas, et le lendemain tu peux pas faire autrement, tu t’y remets. T’es réduit à un seul désir et ce désir-là pourrait te conduire à tuer père et mère.