Citations sur Éloge des bâtards (41)
Ton monde se resserre, rien d’autre n’existe que la question de savoir comment tu vas te procurer ta dose, c’est presque rassurant parce que t’as que ça à penser, t’as qu’une seule idée en tête et c’est une idée pratique, limitée et en même temps géante, elle prend toute la place. Tes relations avec les autres deviennent très compliquées parce que tu n’as plus de liens qu’avec le milieu. Et dans ce monde-là y a ni pitié, ni compassion, ni attention, ni tendresse, ni amour.
La poudre te donne une sorte de confiance provisoire dans tes capacités. Ça dure un temps, tu montes très haut dans ta propre estime puis ça retombe. Après c’est le bas-fond. Pour payer mes doses, je volais énormément, et une fois, je me suis fait prendre. De toute façon t’es obligée de te faire prendre quand tu voles tous les jours.
Elle me serre pas dans ses bras, elle m’embrasse pas, rien ne se passe, y a rien, je la sens pas. C’est pas une question de physique ou de beauté mais je la sens pas. On se retrouve à aller se promener en ville et là elle boit de la bière et de la bière et de la bière, elle me raconte des choses sans intérêt pour moi, que je dois faire attention de pas tomber enceinte, j’ai dix ans alors je comprends pas bien. Je ne sais même pas si elle m’a embrassée quand on se quitte. Je calcule pas sur le moment mais après je me rends compte que j’ai plus envie de la voir, j’arrête de prier pour qu’elle revienne.
J’aurais envie de défendre l’idée que l’indifférence à l’égard de nos ascendants offre une sacrée liberté, qu’on n’a pas intérêt à triturer le passé, que ressasser les états révolus de notre enfance ne sert à rien.
L’éducation bourgeoise que je traîne depuis l’enfance me fait croire que le maintien et la posture peuvent parfois lisser nos pulsions.
On me posait des questions auxquelles je ne pouvais pas répondre, on me montrait du doigt, on me traitait de tous les noms, mon visage parlait contre mon gré, j’étais un sale Juif, un enculé, un fils de pute, je ne comprenais aucune de ces désignations, j’étais secoué par le verbe et sa puissance d’exclusion.
En vieillissant les priorités changent, je suis plus le même.
On a tous nos contradictions, y a toujours des lièvres cachés dans les fougères qui demandent qu’à sortir quand on marche dans leur direction mais là, on ne croyait pas que Fox sortirait du bois devancé par autant de bêtes courant dans tous les sens à l’aveuglette.
On ne savait pas quoi faire de ses révélations et de sa confiance. Finalement, ça ne changeait pas immédiatement nos liens, ça permettait seulement de redoubler d’attention. Oui, on développait, grâce au récit de Fox, de l’attention pour l’enfant qu’il avait été.
Personne ne sait à qui appartiennent ces petites mains mais elles font leur ouvrage, c’est elles qui grippent les engrenages, qui humanisent les machines. Le plus difficile c’est d’y accéder mais quand on les trouve, souvent par hasard, on se dit que l’existence tout entière inscrite dans les lois échappe à la normalisation généralisée, qu’il y a un interstice par où s’enfuir.