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Critique de Blok


Il s'agit apparemment d'un livre de plus sur les biais cognitifs. Pourquoi pas, bien que le sujet soit à la mode et ait déjà été abondamment traité ?-Seulement ce livre ne parle des biais cognitifs qu'en apparence

En effet, il vise principalement, sinon uniquement,, ce qu'il appelle la “construction de fossés", c'est à dire la pensée binaire, l'idée qu'une chose est À ou Non A. L'ennui, c'est qu'il met à mal le principe du tiers exclu, une des bases de la logique formelle et de la logique tout cours, sans lequel tout raisonnement scientifique est impossible.
Pour lui, il n'existe pas d'oppositions mais une transition graduelle entre des stades qui ne s'excluent pas mais se succèdent. Il illustre d'abord son propos à travers une démonstration visant à établir un progrès global et constant de l'humanité depuis le Néolithique.
La thèse apparaît certes juste, mais sans grand rapport avec le mode de démonstration, qui a le tort d'occulter l'existence de ruptures catastrophiques périodiques, véritables collapsus, faisant régresser de plusieurs siècles la civilisation sur tous les plans, tel que l'effondrement de l'empire romain d'Occident
Le raisonnement est certes exact à l'échelle des millénaires, mais ne l'est pas sur des durées plus courtes.
De même, sur le plan spatial, l'auteur raisonne à l'échelle de la planète, et de ce fait sur des concepts souvent fictifs.
Je prendrai ici l'exemple de la population. L'auteur raisonne sur une population mondiale, ce qui ne veut pas dire grand chose ; il existe bien une population totale de la planète, mais celle-ci n'est pas une unité politique, il y a des frontières ; elle se subdivise donc en un certain nombre de populations géographiquement, culturellement, économiquement distinctes (à noter d'ailleurs que l'auteur néglige presque totalement le facteur culture dans ses raisonnements)
Alors il est eaxct que la population totale de la planète se stabilisera autour de dix milliards d'habitants en 2100 (en fait le cap des huit milliards a été franchi plus tôt que prévu, mais cela n'a pas de conséquences pour ce qui nous occupe), toutes choses égales par ailleurs et en l'absence de collapsus ;
Il est vrai que cette baisse se produit dans tous les pays ; il est possible que le taux de fécondité se stabilise autour de deux , non seulement pour une moyenne mondiale, mais dans chaque pays, et chaque aire de civilisation (et d'ailleurs il ne serait pas inutile de relire Huntington, bien qu'il ne soit pas politiquement correct) mais cela n'en prend absolument pas le chemin, pour la bonne raison que certains pays développés, notamment l'Europe Russie comprise, ont déjà des taux de fécondité bien inférieurs à 2, parfois à 1,5, et qu'ils continuent de baisser, au point que certaines nations, dont l'Italie ou l'Allemagne, ont une population sur le point de s'effondrer, avec une pyramide des âges effrayante, et sont menacées de disparition biologique (on le sait, la France s'en tire un peu mieux, entre autres en raison de son système d'allocations familiales, bien raboté pourtant ; je sais que cet argument est honni des néo-féministes)
De l'autre côté de la Méditerranée, et particulièrement en Afrique subsaharienne, les taux de fécondité, même s'ils diminuent eux aussi, restent plus de deux fois supérieurs.
Il en résulte, et il en résultera si le gap de fécondité persiste (admettons à la fin du siècle un taux de 1,2 pour l'Europe et de 2,5 pour l'Afrique) un appel d'air évident pour les citoyens des pays du Sud, naturellement désireux de s'installer dans les pays vieillissants du Nord, où ils espèrent trouver un niveau de vie de type 4.
Cette immigration économique n'est d'ailleurs pas une immigration de la misère, car seuls ceux qui ont atteint au moins un niveau de développement de type 3 peuvent réunir les sommes de plusieurs milliers d'euros exigées par les passeurs.
Cela crée évidemment de nouveaux besoins dans les pays d'accueil, que ces derniers ne sont pas à même de financer, par exemple en matière de santé publique dont les dépenses croissent déjà du seul fait du vieillissement de la population
Ces faits, et d'autres, sont en mesure de créer de ces collapsus que j'ai déjà évoqués, capables de rebattre les cartes, et d'éloigner les lendemains qui chantent
Je précise à ce sujet que la critique de Cailloudegrin et celle de Paul2bo pointent manière bien venue certains raisonnements basés sur des faits biaisés, qui vont au-delà de l' erreur de méthodologie
J'en viens maintenant à ce qui touche au principe même de la thèse de l'auteur. Selon lui, en vertu du gradualisme qu'il postule,et du refus des oppositions binaires qu'il porte, , il n'est pas possible d'opposer radicalement la pauvreté à la richesse.Il distingue en effet quatre stades de développement humain, tant à l'intérieur de chaque société qu'entre sociétés, entre lesquels les individus et les groupes opèrent une progression continue. Il n'y a pas de différences qualitatives, seulement des différences quantitatives momentanées vouées à être comblées. Certes l'auteur admet brièvement une différence qualitative entre les super-riches des sociétés développées et les super-pauvres des sociétés non développées, mais très rapidement il passe à autre chose sans approfondir. Malheureusement les exploités ont souvent du mal à le comprendre, et le citoyen de la France périphérique qui gagne un SMIC ( ne parlons même pas des minima sociaux) aura du mal à comprendre que c'est juste une différence de degré qui sépare son niveau de vie e celui des super-riches de son pays
Il écarte de même 'idée e de contradictions internes dans une société donnée. Donc il n'y a pas de lutte des classes puisque celles-ci se situent dans un continuum évolutif, et donc n'existent pas à proprement parler
Je ne voudrais pas faire de procès d'intention l'auteur, au demeurant bien sympathique ; il me semble que nous sommes bien loin de nos processus cognitifs supposés erronés.Et je crains de devoir dénoncer un tour de de passe-passe qui consiste à appliquer un procédé de raisonnement là où il est inopérant.
En fin de compte, l'auteur décrit un monde sans politique et sans histoire.
Nous ne sommes pas si loin de Fukuyama.
Pour reprendre le vocabulaire de Marx (son analyse n'a bien sûr rien de marxiste puisqu'il nie la lutte des classes) il ne voit que les infrastructures et nie l'influence des superstructures
L'auteur nous dit avoir un petit talent de société : il a appris à avaler des sabres et en fait profiter les auditeurs de ses conférences pour détendre l'atmosphère.
Mais c'est autre chose qu'il entend nous faire avaler.
Pourquoi ne suis-je pas plus surpris que M. Gates, l'un des hommes les plus riches du monde, apprécie particulière ce livre, qui démontre qu'entre lui et nous n'existe qu'une simple différence quantitative appelée à être comblée...
Ce livre peut être rapproché de celui de Rudy Reichstadt ,"l'opium des imbéciles" dont l'auteur, sous prétexte de dénonciation du complotisme, essaie de faire passer toute opposition au capitalisme pour une croyance douteuse et irrationnelle.

Sur les biais cognitifs, on lira avec plus de profit Gérald Bronner, Raymond Boudon, voire Nissim Taleb et d'autres encore

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