[...]Il aurait pu, comme tant d'enfants de parents divorcés, souffrir de notre séparation. Élisabeth avait eu l'intelligence de ne jamais me dénigrer aux yeux de notre fils. Il en était sorti équilibré, respectueux de nos deux personnalités si opposées. C'était grâce à elle. Maintes fois, je fus tenté de lui dire. Mais je redoutais son sourire teinté de sarcasme. Alors je me taisais.
Après cette fausse joie, je m'étais mis à guetter malgré moi, avec morbidité, les grands départs, les jours fériés, les « ponts », sachant que les routes seraient surchargées et les accidents plus fréquents. De toutes ces personnes qui allaient perdre la vie sur la route des vacances, n'y en avait-il pas une dont le coeur, les tissus, le groupe sanguin étaient compatibles avec les miens? Avais-je le droit d'attendre la mort d'un autre pour pouvoir revivre? Avais-je le droit d'espérer?
Le profil de la femme gagnait peu à peu en délicatesse, en transparence. Constance l’avait imaginée âgée, tant ses traits gris, ses joues boursouflées et flétries semblaient marquées par l’avancée du temps. Mais plus elle la débarrassait de sa croûte de crasse, de son vernis pisseux, plus la femme perdait en âge, et ce fut une toute jeune fille qui se découvrit enfin à elle. Page 234
La maladie prenait de l'ampleur, comme mon roman, mais la sienne était une avancée malveillante.
Elle était comme la fille que je n'avais jamais eue... Ou plutôt la petite-fille que mes imbéciles de files n'ont pas été capables de me donner.
Tant d'erreurs naissaient d'une exaltation précoce !
J'étais si fatigué, si las, si découragé, qu'en me forçant un peu, j'aurais pu me mettre à pleurer comme un gamin privé de dessert.
Le bien-être se répandit dans mon corps comme la brûlure de l'alcool.
Vous ne pouvez pas deviner que je vous aime. L'amour que j'éprouve pour vous est un amour solitaire et secret. Personne n'en saura jamais rien.
J'avais peu lu dans ma vie. La lecture me demandait un effort que je préférais réserver à mon travail.