Quitter « Mena ».Sortir du manoir pour la dernière fois , faire comme si elle allait se promener avec ses chiens sur la plage , se persuader que tout à l’heure, elle reviendrait sifflotante, elle prendrait une tasse de thé dans la bibliothèque, en lisant son courrier ou les journaux.Fermer la porte, entendre son grincement qu’elle distinguerait entre mille, sentir sous sa paume cette épaisse poignée qu’elle pourrait dessiner les yeux fermés, ne pas se retourner, surtout ne pas se retourner. Ne pas regarder la façade, s’éloigner à grands pas de ces murs où elle venait de passer vingt-six ans de sa vie , ces murs qui avaient donné naissance à tant de livres , qui avaient vu décéder Tommy. C’était ici, elle le savait , qu’elle avait été la plus heureuse .Quitter « Mena » c’était mourir un peu.
Les gens et les objets disparaissent, pas les lieux.
Voilà comment se nourrissent les romans, d’ardeur et d’obsessions, tout ce qu’on ne peut exposer au monde extérieur au risque de passer pour une démente, tout ce que ces abrutis de juges n’ont jamais su, ni anticipé, tout ce qui se trame dans l’âme des écrivains, fragments de vérité et de fantasmes, argile personnelle façonnée et pétrie à souhait dans les dédales d’un labyrinthe de l’intime interdit aux visiteurs et aux curieux.
"Oui, apparemment, Rebecca reste le roman favori de mes lecteurs, je ne sais pas pourquoi à vrai dire". Le regard de Daphné se fait vague, elle regarde ailleurs, lassée. Rebecca, Rebecca, toujours Rebecca...
Daphné vient d'avoir quarante-cinq ans, elle n'est plus une gamine, ses cheveux sont à présent gris, son visage enfantin s'est creusé, qu'on lui fiche la paix avec cette image ringarde d'auteur de romans sirupeux !
Oh, j'aime tant Paris, pas vous ? Les rues pavées, les taxis qui klaxonnent, les illuminations splendides, les petites dames chic, les hommes à l'allure "Dago*", coiffés de leurs feutres. Juste après la pluie, il n'y a rien de plus féerique, plus magique que la place de la Concorde, la nuit.
*Dago : efféminé (selon le code "du Maurier")
J’aimerais dire à ceux qui subissent un deuil qu’il faut envisager chaque jour comme un défi, une épreuve de courage.
La douleur viendra par vagues, pour une raison inconnue, et certains matins seront plus dures que d’autres.
Acceptez cette douleur. Ne luttez pas contre elle. Ne la dissimulez pas, surtout à vous-même
"L'enfant dont le destin est d'être écrivain est ouvert à tous les vents"
Ce qui se passe dans l'âme tortueuse des femmes dépasse l'imagination.
Toute sa vie, Mlle Du Maurier batailla, en vain, pour ne pas être étiquetée comme écrivain ‘romantique.