Il y avait quelque chose de très pur dans la façon dont elle prononçait ces mots. Elle avait l'air inaccessible, comme une statue de glace. Elle ne le fascinait que davantage. Julien sentait qu'il aurait vraiment du mal à renoncer à elle en fin de mission. Lui aussi aurait adoré partager ce spectacle avec elle ; il avait rêvé entrer dans un cirque lorsqu'il était enfant, et il s'était entraîné en conséquence, entre parkour et barres parallèles, dans le décor pauvre et urbain du quartier où il avait grandi.
Il avait supposé qu'elle le chasserait de sa vie en apprenant la vérité, il lui avait mis cette idée en tête, mais est-ce que ça en valait vraiment la peine ?
Elle l'aimait toujours. Pauvre cruche, songea-t-elle avec un sourire désabusé. Elle s'en voulait de cette indulgence qui tentait de s'emparer de son esprit. Il lui fallait un avis extérieur : dans sa propre tête, le conflit était trop violent.
C'était elle. Ça ne pouvait être qu'elle. Il reconnaissait ce pas entre mille. Elle ouvrit la porte et le regarda longuement en silence. Elle portait une robe magnifique, c'était l'été incarné. Julien avala sa salive, encombré et maladroit derrière sa peluche géante, et tous les autres cadeaux qu'il avait achetés en cours de route pour se donner du courage.
Anoushja avait beau se raisonner, elle était décidée à rester célibataire et donc, des danses lascives au contact d'un bel homme au regard incandescent, c'était sa seule approche de la romance désormais. Elle s'en donnait donc à coeur joie ; et plus elle faisait la connaissance de Julien, plus elle découvrait ses autres qualités. C'était un malin, il avait exactement le même humour qu'elle, et il avait gagné sa confiance avec une facilité déconcertante. Cette amitié équivoque était très satisfaisante, comme une nouvelle série à laquelle elle serait accro, un personnage inaccessible qu'elle contemplait jusqu'à la passion. Les épisodes étaient les cours de danse, et c'était elle qui écrivait le scénario.
Quand moi je lui en pose, il esquive, ou il raconte un truc bateau, tu vois ? On dirait qu'il n'a pas de vie. Je suis sûre qu'il a fait de la prison. Je l'ai vu marcher à côté de toi. Les gens qui ont pris l'habitude de marcher au pas, ils se calquent automatiquement sur le rythme de l'autre personne, ils ne s'en rendent même pas compte."