Drumhellar Volume 1

Il s'agit du premier tome d'une série indépendante de toute autre. Il contient les épisodes 1 à 5, initialement parus en 2013/2014, écrits, dessinés et encrés par Riley Rossmo, coécrits par Alex Link. La mise en couleurs a été réalisée conjointement par Rossmo et Karl Fan.

Quelque part dans un endroit désertique tout violet, un drôle de gugusse (Drum Hellar) est habillé d'une robe de chambre violette et tient un club de golf, à 2 mains levé au dessus de sa tête. Un paon surgit d'une flaque à ses pieds et s'en va laissant un oeuf. Hellar arrache l'oeuf de l'eau et passe la tête par l'orifice laissé, elle émerge au milieu d'un coin de ciel bleu, au dessus d'une prairie verdoyante. Il s'agit des 3 premières pages du récit. Puis Hellar décide d'aller prendre un café dans resto routier tenue par une certaine Wanda. Il rend ensuite visite à Padma Balasubramanyam, son ex-copine avec laquelle il avait constitué un ménage à 3 avec un loup garou bisexuel nommé Lupe. Par la suite, Drum et Padma trouve un zombie des marais de nuit, ce qui permet à Padma de voir Harold (un être surnaturel violet, ressemblant à un gros doudou chat violet). Ils enquêtent ensuite sur un cas de cadavres de vaches, piétinés par des tricératops fantômes. L'histoire se déroule dans une petite ville dans l'état du Dakota du Sud.

Un extrait de critique issue de FANGORIA décrit cette histoire comme un mixte du Big Lebowski, de Hellboy et Hellblazer. Il faut toujours se méfier de ces extraits dithyrambiques qui présentent une histoire comme révolutionnant les comics ou comme l'égal d'un chef d'oeuvre indépassable. Malgré tout cette synthèse est assez parlante.

Il y a bien un peu de John Constantine dans Drum Hellar, dans la mesure où il enquête sur des phénomènes surnaturels, et où il se conduit en adulte, avec une forme de distanciation affective vis-à-vis de son ex. il y a bien un peu d'Hellboy dans les monstres déconcertants auxquels il se trouve confronté. Il y bien un peu de Lebowski dans Drum Hellar, qui est un célibataire sans emploi et sans aucune ambition qui se satisfait de sa vie (pas si tranquille que ça), assez nonchalant.

Il serait toutefois injuste de réduire cette série à un simple mélange de ces trois références culturelles. L'univers visuel et narratif développé par Riley Rossmo n'appartient qu'à lui. Il n'y a pas beaucoup de créateur capables de faire coexister une grosse peluche violette avec des cadavres éventrés de vache. S'il n'y a pas explication littérale à la première séquence, il y a une explication à son existence. Pour communiquer avec les spectres et autres manifestations surnaturelles, Drum Hellar consomme des produits psychotropes régulièrement, et des plus farfelus.

Lorsque Hellar est emprisonné, Rossmo donne même la recette du vin de toilettes : des fruits, du ketchup, beaucoup de sucre, et de l'eau. Il faut laisser macérer cette mixture dans un sac en plastique, caché dans la cuvette des WC... et se retenir de les utiliser pendant quelques jours. Rossmo ajoute un petit détail pas ragoûtant : un maton peut très bien avoir envie de se soulager dedans, parce que ça presse, ou pour se venger des détenus. Dans l'épisode 5, Hellar utilise une décoction de salives peu ragoûtantes pour se défoncer.

Rossmo (aidé par Alex Lik) introduit donc dans sa narration une composante d'humour farfelu qui n'exclut pas le cynisme. Il inclut quelques jeux de mots, plutôt rigolos, en particulier avec le prénom de la serveuse Wanda. Cet humour est également présent de manière visuelle, qu'il s'agisse de la forme d'Harold, des expressions du visage d'Hellar (souvent représenté comme 2 sourcils très épais, 2 points pour les yeux), la représentation d'un immortel dont le corps rajeuni (Daniel James Sullivan, un bébé tout nu avec des gros écouteurs sur les oreilles), un char de parade dédié aux cougars, des nains de jardin, etc.

À côté de ces éléments humoristiques, il est tout aussi convaincant pour les éléments horrifiques. Il y a en particulier une double page dans laquelle Red (une femme habillée en violet, décidément) montre les clients d'un établissement de restauration rapide comme autant de d'amas de chairs à vif, ou un vol de corbeaux menaçants, ou encore la progression d'un rat le long de câbles électriques.

À la lecture, l'intrigue peut sembler un peu décousue. Une fois enlevé de l'eau, l'oeuf du paon ne réapparaît plus. À peine la peau de zombie des marais a-t-elle retrouvé sa mobilité, que Drum Hellar se voit accaparé par Red, puis Rossmo ajoute les cadavres de vache, et l'arrestation d'Hellar pour exhibitionnisme et détention de stupéfiants. le lecteur doit donc accepter les méandres du récit, en passant par les visions psychédéliques qui accompagnent la défonce, pour voir que les fils narratifs finissent par réapparaître et bénéficier d'une résolution pour certains, les autres se poursuivant dans le tome suivant.

Les premières pages de ce tome déconcertent par leur originalité, tout en étant divertissantes et intrigantes. Il faut un peu de temps pour s'assurer qu'il s'agit bien d'un récit à destination d'adultes, mais rapidement le doute se dissipe. La nonchalance et la bonhommie de Drum Hellar charment le lecteur sans difficulté. Son absorption régulière de psychotrope justifie les apparences déconcertantes. L'intrigue se révèle lentement, tout en attestant de son originalité quant à sa dimension surnaturelle. Les surprises abondent, le niveau de divertissement est élevé, et les rapports humaines sont chaleureux. Il reste à étoffer les personnages et à prouver la pérennité de l'inventivité de ce début.