Peu à peu, par pans entiers, les images de son passé qui s’étaient refusées à lui obstinément, par vagues successives l’envahirent. Il revit la garrigue et ses nuages, il revit l’écluse du canal, il revit la maison où il était resté des semaines attendant le départ pour l’Espagne
Les nuages
Il pouvait reconnaître en eux à volonté, des navires, des barques, des goélettes, des steamers, des yachts, des pirogues, des radeaux, des îles.
Grâce à l’art de Constable, lui, Goodman, avait retrouvé, non pas le passé, ni le temps, qu’on ne perd jamais parce qu’il n’a jamais été en notre possession, mais, ne serait-ce que pour des moments précaires, et sans cesse effacés, quelque chose sur son enfance, que la fracture de la guerre, que l’absence de sa mère, la séparation d’avec sa mère, le meurtre de sa mère, lui avait fait perdre pendant toutes ces années. Il ne s’agissait pas d’une restitution impossible. Seulement l’offre d’une possibilité : un regard réconcilié avec le passé, avec l’oubli
Le ciel éternellement changeant a, lui aussi, une sorte de permanence, puisque les "châteaux de nuages" sans cesse sont défaits puis rebâtis par le vent. Mais cette permanence-là est infiniment plus durable que celle des objets terrestres. Le pourrissement végétal, les ruines des habitations, la mort des êtres, désignent sur terre le passé irrémédiable. Le plus fugitif, le plus changeant, le formel sans forme de la vapeur aérienne dans le ciel se révèle être plus durable que les moulins, que les herbes, que le cottage de Willy Lot, que la Stour River.
[...] toutes ces familles anglaises, tous ces touristes de partout, parmi lesquels il se trouvait ce jour-là, étaient venus vérifier le paysage, s’assurer, non pas que les peintures lui ressemblent mais bien que, par endroits, c’est lui qui réussit, avec plus ou moins de bonheur, avec une obstination touchante, à ressembler aux tableaux.