Mes doigts saignent
Je t'écris
Avec
Le règne des vieux rois est fini
Le rêve est un jambon
Lourd
Qui pend au plafond
Et la cendre de ton cigare
Contient toute la lumière
Au détour du chemin
Les arbres saignent
Le soleil assassin
Ensanglante les pins
Et ceux qui passent dans la prairie humide
Le soir où s'endormit le premier chat-huant
J'étais ivre
Mes membres mous pendent là
Et le ciel me soutient
Le ciel où je lave mes yeux tous les matins
Ma main rouge est un mot
Un appel bref où palpite un sanglot
Du sang versé sur le papier buvard
L'encre ne coûte rien
Je marche sur des taches qui sont des mares
Entre des ruisseaux noirs qui vont plus loin
Au bout du monde où l'on m'attend
C'est la fontaine ou les gouttes de sang qui coulent de
mon coeur que l'on entend
Un clairon dans l'azur sonne la générale
(Pierre Reverdy : Horizon)
LES QUATRE TEMPS CARDINAUX (René Daumal)
La poule noire de la nuit
vient encore de pondre une aurore.
Salut le blanc, salut le jaune,
Salut, germe qu’on ne voit pas.
Seigneur midi, roi d’un instant,
au haut du jour frappe le gong.
Salut à l’œil, salut aux dents,
Salut au masque dévorant, toujours !
Sur les coussins de l’horizon,
le fruit rouge du souvenir.
Salut soleil qui sait mourir
Salut, brûleur de nos souillures.
Mais en silence je salue la grande Minuit,
Celle qui veille quand les trois s’agitent.
Fermant les yeux je la vois sans rien voir par-delà les ténèbres
Fermant l’oreille j’entends son pas qui ne s’éloigne pas.
TROIS GÉNÉRATIONS
Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? Psaume 22, 2, Matthieu 27, 46
Le père mourut dans la boue de Champagne
Le fils mourut dans la crasse d'Espagne
Le petit s'obstinait à rester propre
Les Allemands en firent du savon
Paul Valet
La jeune fille avec un amant prit la fuite
le village accusa sitôt les Bohémiens
et la gendarmerie se mit à leur poursuite
de son côté et moi du mien.
Rejoignant la roulotte, par les petits rideaux
je n’aperçus dedans qu’une misère noire
malgré tous les larcins et les biens illégaux
que les gendarmes faux prétendirent y voir.
Ils fouillèrent ; jetant aux talus des guenilles
où ils reconnaissaient la vieille d’un village
qui se plaignit de vol – et mille autres verbiages,
tandis que j’y voyais s’enrouler des jeunes filles.
Le forain dut prouver que lui-même avait fait
les marmots couchés à l’ombre sous la voiture
et qui souillés puaient le manque d’aventures
si bien qu’à ce soupçon je pus que m’esclaffer.
Alors qu’elle riait à corps perdu la belle
de qui l’amour venait de dénouer la longe,
cachée sous un vieux reste de Bohême irréelle,
derrière le buisson infouillable du songe.
(Georges Limbour, Motifs, 1924)
Vous dont la bouche est faite à l’image de celle de Dieu
Bouche qui est l’ordre même
Soyez indulgents quand vous nous comparez
À ceux qui furent la perfection de l’ordre
Nous qui quêtons partout l’aventure
Nous ne sommes pas vos ennemis
Nous voulons vous donner de vastes et d’étranges domaines
Où le mystère en fleurs s’offre à qui veut le cueillir
Il y a là des feux nouveaux des couleurs jamais vues
Mille phantasmes impondérables
Auxquels il faut donner de la réalité
Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait
Il y a aussi le temps qu’on peut chasser ou faire revenir
Pitié pour nous qui combattons toujours aux frontières
De l’illimité et de l’avenir
(Guillaume Apollinaire, La jolie rousse, 1917)
Avec douze écrivains de l'Anthologie
Avec Anne le Pape (violon) & Johanne Mathaly (violoncelle)
Avec Anna Ayanoglou, Jean d'Amérique, Camille Bloomfield & Maïss Alrim Karfou, Cyril Dion, Pierre Guénard, Lisette Lombé, Antoine Mouton, Arthur Navellou, Suzanne Rault-Balet, Jacques Rebotier, Stéphanie Vovor, Laurence Vielle.
Cette anthologie du Printemps des Poètes 2023 proposent 111 poètes contemporains et des textes pour la plupart inédits. La plus jeune a 20 ans à peine, le plus âgé était centenaire. Tous partagent notre quotidien autour de la thématique corrosive des frontières. Leurs écrits sont d'une diversité et d'une richesse stimulantes. Ils offrent un large panorama de la poésie de notre époque. Avec notamment des textes de Dominique Ané, Olivier Barbarant, Rim Battal, Tahar Ben Jelloun, Zéno Bianu, William Cliff, Cécile Coulon, Charlélie Couture, Jean D'amérique, Michel Deguy, Pauline Delabroy-Allard, Guy Goffette, Michelle Grangaud, Simon Johannin, Charles Juliet, Abdellatif Laâbi, Hervé le Tellier, Jean Portante, Jacques Roubaud, Eugène Savitzkaya, Laura Vazquez, Jean-Pierre Verheggen, Antoine Wauters…
Mesure du temps
La fenêtre qui donne sur les quais
n'arrête pas le cours de l'eau
pas plus que la lumière n'arrête
la main qui ferme les rideaux
Tout juste si parfois du mur
un peu de plâtre se détache
un pétale touche le guéridon
Il arrive aussi qu'un homme
laisse tomber son corps
sans réveiller personne
Guy Goffette – Ces mots traversent les frontières, 111 poètes d'aujourd'hui
Lumière par Iris Feix, son par Lenny Szpira
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