Au surplus, Largillière entrait dans la peinture à l'époque la plus favorable au genre qu'il avait choisi. Époque brillante et fastueuse qui réunissait, dans le cadre magnifique de Versailles, la société la plus raffinée qu'ait jamais vue le monde, groupée autour du plus glorieux des rois. Attirée par l'éclat de la Cour et par l'appât des faveurs qui s'y distribuaient, la haute noblesse de province avait déserté ses gentilhommières pour venir à Versailles quêter un regard ou une parole de Louis XIV, y vivre dans une sorte de domesticité dorée et y engloutir,
Artiste dans l’âme et, par surcroît, ambitieux, le jeune Largillière ne s’en tenait pas au rôle utile mais modeste que lui assignait Gobau dans leur collaboration. Ponctuel, il exécutait en perfection ces menus travaux d’accessoires, à la grande satisfaction de son maître; mais sitôt que celui ci quittait l’atelier, notre jeune peintre sautait sur ses crayons et s’attaquait de mémoire, de chic comme on dit aujourd’hui, à des sujets d’une plus haute envergure; il s’essayait, et non sans bonheur, à la peinture historique ou religieuse.
La réputation de Largillière n’était pas seulement établie auprès de sa riche clientèle; les peintres, ses confrères, ne faisaient aucune difficulté pour reconnaître son talent. Nous avons dit l’estime qu’avait pour lui Le Brun et l’amitié que lui portait Rigaud.
On ne sait pas exactement en quelle occasion prit naissance cette vive amitié entre les deux grands portraitistes ; ce qui est hors de doute, c’est qu’elle ne se démentit jamais et ne laissa place entre eux à aucune jalousie, à aucune rivalité de gloire ou d’intérêt.
On raconte d'Hyacinthe Rigaud que,passant dans une rue de Paris en compagnie d'un gentilhomme, il salua avec les marques de la plus vive amitié un personnage qu'ils rencontrèrent. Et comme son compagnon s'informait de la qualité de ce personnage, Rigaud lui répondit:
— Celui-là, Monsieur, est un grand peintre, auprès duquel je ne suis qu'un enfant: c'est M. de Largillière.