AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations sur Une immense sensation de calme (78)

Leur chant est une plainte joyeuse, une sorte de danse macabre, comme s'ils connaissaient depuis toujours leur fin, s'y savaient condamnés depuis le premier jour de leur humanité et qu'elle était l'objet de leur fête.
Commenter  J’apprécie          40
Je suis une enfant qui fait l'amour avec Igor, mais aussi avec la forêt, le lac, les hirondelles du printemps, les grives de l'automne, qui se laisse choisir par la jouissance, les bras ouverts et la bouche continûment humide.
Commenter  J’apprécie          40
La Lune commandait notre sang. Elle était notre mère. Plus petite et moins forte que le Soleil, elle était plus douce et légère. Comme elle, les femmes pouvaient se creuser jusqu'à devenir miettes. Pourtant, au plus fort de l'obscurité, la lune nouvelle continuait à diffuser son paisible halo. Chaque soir, la même histoire se répétait : le Soleil allumait ici ou là quelques brandons de colère, furieux de devoir quitter le monde, mais déjà la nuit mollissait l'incendie et ses vapeurs mauves, lénifiait sa violence pour laisser place au coassement gris du crapaud. Alors la Lune faisait apparaître son front, festonnant de lumière le contour des arbres, modeste dentelle, et, timide, s'élevait dans le ciel, si simple et ronde qu'on pouvait l'observer à l'oeil nu car elle n'avait aucun artifice à cacher, aucune blessure à taire, laissant voir à qui voulait s'en moquer les cratères poussiéreux maculer son corps blanc. Ainsi en avait-il été depuis des lustres et en serait-il tant que l'homme serait homme et la femme, femme.
Commenter  J’apprécie          40
Ses lèvres se retroussèrent en babines et ses dents, plantées en petites rangées acérées, semblèrent prêtes à mordre Grisha. Celle-ci demeura immobile. Les deux femmes se jaugèrent. Puis Kolia déposa les fruits dans sa robe et, quand elle eut fini, attrapa une pomme. Lorsqu’elle mordit dedans, le jus coula le long de son menton, dégoulina dans son cou, sur son ventre et son sexe pour finir dans l’eau, traçant un chemin de désir qui disparut dans le courant. L’insolente beauté provoquait la vieillesse. Grisha continua à la dévisager avec froideur. Au début du troisième mois, l’aïeule attendit, à découvert devant le mélèze. Kolia remontait le cours de l’eau et s’arrêta au niveau du panier. Elle observa un moment la vieille qui n’était pas à sa place habituelle puis, après quelques secondes, prit les fruits et s’en alla. Cela dura trente jours. Le quatrième mois, la vieille Grisha resta à mi-chemin. Le cinquième, à quelques pas. Chaque mois elle se rapprochait, jusqu’au neuvième où elle se posta à côté du panier. Kolia finit par arriver, son ventre distendu par la grossesse aussi ferme que la peau des fruits.
Les deux femmes se trouvaient si proches qu’elles auraient pu se toucher. Mais ni l’une ni l’autre ne s’y risquèrent. Et chaque jour de ce dernier mois elles se contentèrent de rester l’une et l’autre à portée de main, s’examinant avec défiance. Kolia glougloutait en avalant les pommes et Grisha, dont le corps était devenu sec, contemplait sa voracité. Qui les eût aperçues de loin eût pu croire à une mère venant nourrir sa fille. Car au terme de ces neuf mois, on pouvait dire que les deux femmes s’étaient inextricablement liées, chacune ayant fini par apprivoiser l’autre. Un matin, Kolia laissa sur son passage une trace de sang.
Elle était à terme. La vieille l’assista dans son travail d’accouchement.
L’enfant que la jeune femme avait gorgé de fruits avait tellement grossi qu’il ne passait pas. C’est dans un terrible hurlement de cascade qu’elle parvint à l’expulser, se déchirant les chairs, et le sang coula tellement qu’elle se vida. Le liquide serpentait entre les herbes et forma des rigoles jusqu’à la rivière. De stupeur, la vieille lâcha le nourrisson qui rebondit sur le sol et finit à plat dans l’herbe, absorbé par le spectacle du corps de sa mère se dévidant dans les flots. Bientôt il ne resta d’elle qu’une flaque de terre et de placenta.
Dans les mois qui suivirent, un immense pommier poussa à cet emplacement, dans lequel l’enfant allait aimer grimper pour se repaître des fruits à même les branches. Grisha l’éleva jusqu’à ses quinze ans. Elle le nourrit et le soigna, le laissa grandir au milieu de la forêt, confiant le soin de son éducation à la nature dont il était fils, né de Kolia Ivanenka, femme poisson et de Tochko Tochkovitch, créature de la montagne. L’enfant avait si bien appris les leçons des arbres et des animaux que certaines nuits il ne rentrait pas, gîtant comme les bêtes dans leur terrier. La vieille laissa faire. Y compris lorsqu’il décida de partir vers les sommets chercher cette ourse qu’il avait aperçue au cours d’une de ses chasses. C’est ainsi
qu’Igor prit le chemin des kerns. 
Commenter  J’apprécie          40
À présent il faut que je raconte comment Igor est entré dans ma vie. C’était la fin de la saison froide, j’avais passé l’hiver dans la maison des frères Illiakov.
Un matin, un homme arrive près du lac où je ramasse les nasses. C’est lui. À une centaine de pas de moi, il s’immobilise. Un oiseau aux ailes larges traverse le ciel, Igor sourit. Mille ans de solitude et de détermination frémissent à ses lèvres. Il se tient au bas de la falaise et regarde là où les hommes ne peuvent aller. Je le vois se plaquer à la paroi. Sa main est grise comme le caillou, son esprit dur comme le calcaire. J’ai l’impression qu’il va être avalé par la montagne, appelé par ses rondeurs de femme. Lui la comprend avec ses doigts. Bientôt ils évoluent ensemble, amants sauvages que la nature réunit clandestinement.
Igor n’est pas un homme. Il répond à des instincts. De même qu’on ne demande pas à un renard pourquoi il creuse un terrier, on ne peut exiger d’Igor qu’il explique pourquoi courir dans cette direction plutôt qu’une autre. Il en est incapable. C’est un animal. J’aurais pu le deviner dès ce premier jour. Tout était déjà inscrit dans ce corps-à-corps avec la roche. J’aurais également pu me douter que beaucoup de mes questions resteraient sans réponse.
Il grimpe le long de la falaise. Ne regarde pas en bas. Son esprit se disperse dans chacune de ses cellules, condensé dans l’effort, sans aucun autre but que celui de former le geste pur. Bientôt mon corps est secoué, aspiré vers le sien. Mais Igor continue à monter sans se préoccuper de moi. Alors je sais. Il faudra attendre. Je ne serai pas seule. Il y aura les algues et le vent. Les cristaux, la glace et le sang. La terre est sa couche, la pierre sa maîtresse. À l’image des animaux qui n’ont pas de partenaire d’élection, Igor fait feu de tout bois. Pour lui, l’amour est partout. Quand il passe une journée à couper des bûches, son corps entier tend vers la matière. On peut parler d’amour. Mais je crois, après tant d’années, que le mot n’est pas complètement juste. Dans son cas, le désir provoque des arrêts et des observations. Il examine, explore. Son amour est pareil à la glace qui brûle à force de froid.
Commenter  J’apprécie          40
Il y a des gens qui sont bâtis pour exister toujours, leur corps éblouissant érigé pour résister aux assauts du temps, de la maladie et de la mort. Des anatomies de soleil et d'éclat. Igor était de ceux-là. Pavel, en revanche, semblait abriter en son sein chaque jour un peu plus sa propre fin. Et l'on voyait dans sa démarche légèrement accablée le commerce de plus en plus intime qu'il avait noué avec la mort. Une sorte de lente préparation. Comme on dit d'un fruit qu'il est mûr lorsqu'il tombe, la vie de Pavel était la maturation de sa propre disparition.
Commenter  J’apprécie          30
Nous sommes simplement de passage, murmurent ses cheveux dans le vent. L'instant s'échappe vers un autre, insaisissable.
Commenter  J’apprécie          30
Les jours se répétaient, les gestes aussi. Mais le soleil levait chaque matin son rideau sur une nature différente. La lumière ruisselait dans les branches cristallisées par la glace. Les myriades de teintes allaient du rose au bleu pâle, projetant des flaques colorées sur la surface du lac en banquise. L’hiver révélait des grâces de jeune fille. Le ramage des branches, prisonnières de leur robe de cristal, devenait dentelle, piquetée par endroits de boutons vernis là où les corneilles arrêtaient leur vol. On crissait à chaque pas et c’était délicat, un froissement de tissus précieux.
Commenter  J’apprécie          30
Sous mes pieds je sens quelque chose de froid. À moitié enterrées dans le sable, deux pièces de cuivre. Elles ont dû se décrocher d'une jupe pendant la nuit. Je les ramasse et vais les jeter dans l'eau. Pour payer le Passage.
Car nous sommes tous de passage. Simplement de passage.
Commenter  J’apprécie          30
"J'ignore tout de ce qui se passe dans la tête d'Igor pendant la nuit. Il n'arrête pas de gesticuler dans le lit. Je l'entoure de mes bras pour le protéger. La mort de l'ourse habite sûrement son sommeil. Mais puisque les rêves ne se partagent pas, il est inutile d'imaginer quoi que ce soit. Mieux vaut le serrer fort sans me poser de question."
Commenter  J’apprécie          30






    Lecteurs (586) Voir plus



    Quiz Voir plus

    Les Amants de la Littérature

    Grâce à Shakespeare, ils sont certainement les plus célèbres, les plus appréciés et les plus ancrés dans les mémoires depuis des siècles...

    Hercule Poirot & Miss Marple
    Pyrame & Thisbé
    Roméo & Juliette
    Sherlock Holmes & John Watson

    10 questions
    5269 lecteurs ont répondu
    Thèmes : amants , amour , littératureCréer un quiz sur ce livre

    {* *}