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Critique de Antyryia



J'ai acheté ce livre comme j'achète chaque inédit de la collection "L'ombre de Bragelonne" ( une sorte de réflexe pavlovien ). Mais j'étais sceptique. Clive Barker a beau encenser ce livre sur l'attirante couverture ("Une superbe ghost story", "Un roman fantastique de première classe"), je suis toujours dubitatif face à ce genre de publicité. Et puis une histoire de fantômes, ça n'est pas le sujet le plus original qui soit, je n'allais probablement pas découvrir grand chose d'inédit.

C'est donc sans attente particulière que j'ai commencé les 270 pages du second roman du Canadien Michael Rowe ( le premier, "Enter, night" demeurant pour l'instant inédit en France ), composé de huit longs chapitres et d'un prologue de presque 40 pages. Je renouais ainsi avec le surnaturel que j'avais délaissé ces derniers temps.

La scène d'introduction était assez convenue. Deux adolescents de la commune d'Alvinia qui sortent en soirée dans la région de Blackmore Island dans l'Ontario, réputée pour ses lacs. Premiers émois amoureux, histoires de fantômes, tragédie teintée d'étrange ( et de papillons de nuit ) aux abords de la grande demeure victorienne de Wild Fell dans les années 60. Les lieux ont été inventés pour les besoins du roman tout en s'inspirant d'un manoir bien réel, juché sur une falaise, qu'a visité l'auteur. Pas de réelle originalité donc mais une bonne surprise avec une écriture ( et une traduction de Benoît Domis ) subtile, facile à lire sans être dépourvue de style.

Commence ensuite le premier chapitre et la narration du principal personnage, Jameson ( Jamie ). Contrairement à ce qu'on pourrait croire son histoire ne commence pas avec l'acquisition de la demeure de Wild Fell. Ce qui en soit est déjà un pied de nez à toutes les autres histoires de maisons hantées puisqu'on échappe à la trame linéaire classique des oeuvres de Shirley Jackson, James Herbert ou James Kahn ( Poltergeist ).

Pour parler de ce roman fantastique, je vais évoquer les différentes étreintes d'un père et de son fils, récurrentes dans l'histoire.

Page 63, Jaimie demande à son père
"- Reste juste un peu avec moi, d'accord ?
- Entendu, mais pas trop longtemps.
Il s'étendit à côté de moi et mit son bras autour de mes épaules, m'attirant contre lui."
Réservé, solitaire, Jamie est plutôt la tête de turc de ses camarades et ce rôle de souffre douleur est évoqué dès le début lorsqu'il se fait voler son vélo par un jeune voyou du quartier voisin puis durant les trois semaines où il sera la risée du groupe en colonie de vacances, au camp Manitou ( hommage déguisé à Masterton ?)
Je me suis pris d'affection envers cet enfant dont l'existence sonne terriblement vraie. Courageux malgré les obstacles, un père aimant qui le soutient et une mère à l'inverse distante, la perte douloureuse de sa tortue peinte si primordiale et symbolique m'a donné envie de hurler à l'injustice.
Et le fantastique dans tout ça ? Eh bien il y a du moins des éléments troublants. D'où lui est venue la force de vaincre ( de massacrer ? ) son plus grand tortionnaire ? Jaimie a une amie imaginaire, son "amiroir", le personnage imaginaire habitant du côté de son reflet, dans une glace aussi somptueuse qu'inquiétante. Mais qui semble parfois bien réel. Pure imagination que ce personnage d'Amanda parlant à travers sa voix ? Qui peut allumer des bougies à distance ? Pure coïncidence que le voleur de bicyclette soit hospitalisé suite à sa chute dans un nid de guêpe alors que, comme un voeu à un djinn, il exprimait la veille à Amanda le souhait suivant : "Je veux qu'il me rende mon vélo, c'est tout ! Et ... et qu'il la ferme ! Qu'il se taise et cesse de s'en prendre à plus petit que lui" ?
Cette silhouette fantomatique inquiétante semble en tout cas responsable d'évènements inexplicables, en savoir beaucoup plus qu'elle ne devrait, être liée à Jaimie d'une façon ou d'une autre, être animée d'une vie propre et être capable de se mettre très en colère si l'enfant ne suit pas ses consignes. Mais terrifié, le jeune garçon finira par recouvrir le miroir pour ne plus la croiser et l'oublier.
Difficile en tout cas pour le lecteur de distinguer ce qui est vrai de ce qui appartient à la fantasmagorie du jeune homme.

Page 144, le père à son fils , trente ans plus tard
" - Jamie, dit il de la voix hésitante et chevrotante d'un vieil homme. Tu veux bien rester avec moi? Jusqu'à ce que je m'endorme ? J'ai si peur.
- Bien sûr papa. Bien sûr. Ne crains rien, je suis là.
Je grimpai sur le lit pour m'étendre à côté de lui. Puis je passai mon bras autour de ses épaules et le tins tendrement."
Cette inversion des rôles est liée à la maladie d'Alzheimer dont souffre le père. Loin de n'être qu'un roman fantastique de plus, Wild Fell est une oeuvre pleine de sensibilité et de réalisme. Il évoque notamment cette maladie et ses ravages sur la mémoire mais aussi la famille, l'amour d'un père et de son fils et à l'inverse la sévérité et le désintérêt d'une mère, un certain chaos familial ainsi que l'inéluctable séparation des parents de Jamie.
Il y est question d'homosexualité également avec la meilleure amie de Jamie, véritable garçon manqué. Tous ces sujets sont évoqués avec finesse et ancrent l'histoire dans un environnement crédible, ce qui permet de continuer à y croire même lorsqu'intervient le surnaturel.
Devenu adulte, Jamie sera contraint de placer son père dans un centre de soin adapté à son état et par un nouveau coup du sort, il sera victime d'un grave accident qui le plongera dans le coma. L'indemnisation du chauffard lui permettra cependant d'être assez riche pour faire l'acquisition de Wild Fell.

Page 191
"Mon père était sur moi, à califourchon sur mes cuisses, frottant ses fesses contre mon ventre. Je sentis la pression des os de ses genoux pointus s'enfonçant dans mes côtés."
Première nuit à Wild Fell, premiers cauchemars venant souiller les souvenirs d'une si belle relation père / fils.
Le récit s'accélérera alors et basculera dans l'incompréhension et l'horreur. Sans trop en dévoiler vous ferez connaissance d'une étrange agente immobilière, vous verrez comment le temps peut se courber, vous verrez que rien de ce qui s'est déroulé depuis le début n'a été mis de côté et que tout trouvera son sens. Vous saurez qui était l'amiroir et vous découvrirez la reine des guêpes et des papillons de nuit. le final, l'apothéose devrais-je dire , est un feu d'artifice de révélations et d'horreur qui m'a tenu encore davantage en haleine que le reste du roman.

Wild Fell est présenté comme une Ghost story. Certes il y a bien tous les codes du genre ( la maison hantée, les évènements inexplicables, les présences fantomatiques ) mais Michael Rowe a créé une histoire bel et bien inédite et si on excepte quelques rares passages descriptifs de cette vieille et inquiétante bâtisse, j'ai lu une oeuvre unique, à la fois tendre, subtile et inquiétante que je ne peux que conseiller aux amateurs du genre, voire à toute personne non réfractaire à quelques éléments surnaturels.
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