Citations sur Ces enfants de ma vie (35)
En repassant, comme il m'arrive souvent, ces temps-ci, par mes années de jeune institutrice, dans une école de garçons, en ville, je revis, toujours aussi chargée d'émotion, le matin de la rentrée. J'avais la classe des tout-petits. C'était leur premier pas dans un monde inconnu. À la peur qu'ils en avaient tous plus ou moins, s'ajoutait, chez quelques-uns de mes petits immigrants, le désarroi, en y arrivant, de s'entendre parler dans une langue qui leur était étrangère.
Telle était la passion qui m’a tenue au cours de ces
années-là, et je sais aujourd’hui que de toutes celles qui
nous prennent entiers, pour nous broyer ou façonner,
celle-là autant que les autres est exigeante et dominatrice.
ces six nouvelles nous apportent un personnage différent, un élève surprenant et on se laisse entraîner dans ce souci permanent de l'enseignante vers ce petit élève particulier. L'écriture est belle, pleine de tendresse.
comme j'aurai voulu avoir un tel souci de moi par mes enseignants.
Alors il se campa comme pour résister à du vent, les pieds écartés, la tête projetée en arrière, le regard déjà vif, se transformant sous mes yeux infiniment plus que j'avais pu le voir jusqu'à cette fois-ci --- la première où il chanta à l'école dans la langue de sa mère ---, petit rustique devenu un possédé de musique. Le corps se balançait à un rythme enlevant, les épaules se soulevaient, les yeux lançaient des flammes et un sourire écartait de temps en temps les lèvres un peu charnues, cependant que sa main levée il paraissait nous indiquer au loin dans un geste gracieux quelque joli spectacle, et l'on ne pouvait que suivre le geste et tenter de voir aussi ce qui le mettait en joie. Je ne savais ce qui était le mieux: l'écouter les yeux fermés pour goûter sans être distraite cette délicieuse voix; ou le regarder faire, si vivant, si enjoué, qu'il semblait près de s'élever du sol.
Alors arriva Georges, un petit bonhomme silencieux, sans expression, amené par une mère distante qui me donna les détails nécessaires sur un ton impersonnel et partit sans avoir même souri à son enfant assis à son pupitre.
Tôt, ce matin-là, me parvinrent des cris d'enfant que les hauts plafonds et les murs résonnants amplifiaient. J'allai sur le seuil de ma classe. Du fond du corridor s'en venait à l'allure d'un navire une forte femme traînant par la main un petit garçon hurlant. Tout minuscule auprès d'elle, il parvenait néanmoins par moments à s'arc-bouter et, en tirant de toutes ses forces, à freiner un peu leur avance. Elle, alors, l'empoignait plus solidement, le soulevait de terre et l'emportait un bon coup encore. Et elle riait de le voir malgré tout si difficile à manœuvrer. Ils arrivèrent à l'entrée de ma classe où je les attendais et m'efforçant d'avoir l'air sereine.
D’où vient que l’on a tant de peine à
voir transparaître l’homme dans un visage d’enfant alors que
c’est la plus belle chose du monde que de voir revenir l’enfant
chez l’homme?
Pourquoi riions-nous? De nous découvrir si bien,
ensemble, je suppose, unis dans la rare et merveilleuse
entente survenant entre deux êtres qui fait qu’ils n’ont
plus besoin de mots ou de gestes pour se rejoindre; alors
ils rient, sans doute de délivrance.
M'en revenant vers ce que nous appelions "notre" ville, "notre" vie et dont il me sembla avoir été éloignée depuis des années, je n'arrivais pas à détacher mon souvenir de l'image du petit Demetrioff tel qu'il m'était apparu découpé dans un rayon de soleil.
«Si j'avais encore énormément à découvrir, à prendre devant moi, je n'étais pas sans comprendre qu'il y avait déjà de l'irrémédiablement perdu, et que si la vie donne d'une main, elle reprend de l'autre.»