Est-ce qu’après les prostituées, le travestissement, et les tromperies en tout genre, cette histoire avait été la goutte qui a fait déborder le vase ? À cette époque, elle aurait confié à Terry Young justement qu’Allen l’obligeait, elle, Sheila, à engager des prostitués masculins pour qu’ils l’attachent et le battent.
Allen avait tout pour être heureux. Il avait de l’argent, de belles voitures, des femmes… et – on avait trop tendance à l’oublier – une épouse et deux adorables petites filles.
Après avoir déployé un charme fou pour gagner l’amour et la confiance de cette jeune femme naïve, ayant deux enfants en bas âge, il se montra dur, voire cruel, la détruisant au moral comme au physique.
Mais si parfois il se laissait aller à boire jusqu’à être ivre mort, Allen n’avait rien d’un alcoolique. Il ne fut jamais dépendant que d’une seule drogue : le sexe et ses fantasmes sadomasochistes.
Sheila était très glamour, me confiera Kerry. Ou plutôt elle rêvait d’être glamour, sans l’être vraiment. Parfois, nous nous habillions et nous maquillions pour poser pour un photographe comme si nous étions mannequins. Mais ça, ce n’était pas la vraie Sheila. C’est difficile à définir, mais il y avait quelque chose en elle qui séduisait les gens. Peu importait si elle s’était fait belle ou n’était même pas coiffée. On la remarquait, on voulait faire sa connaissance. Elle attirait comme un aimant. Elle était heureuse, épanouie, drôle.
Don était toujours là quand Gene avait besoin de lui. Et il était fou d’elle. Malgré les difficultés qu’elle avait traversées, Gene était ravissante. Elle était encore toute mince, et aussi jolie que ses filles.
Sheila ne voulait jamais admettre qu’elle souffrait. Même à l’âge adulte, cette petite femme d’un mètre cinquante-deux refusa de renoncer à ses rêves de bonheur malgré l’adversité. Elle était malicieuse. Avec Kerry, elles prenaient un malin plaisir à se déguiser en « grandes », glissant du coton dans des soutiens-gorge chapardés dans le tiroir de leur mère. Kerry idolâtrait sa grande sœur. – Elle était douée pour tout, me dira-t-elle lors de nos entretiens. Nous prenions toutes les deux des cours de piano, et Sheila jouait merveilleusement, alors que moi, dès que le professeur arrivait, je courais me cacher. Quand elle regardait les garçons jouer au foot, elle prétendait courir plus vite qu’eux. Et c’était vrai. Elle les battait tous au cent mètres… même si elle était haute comme trois pommes.
Très jolie, les yeux bleus, les traits fins, le teint d’une blancheur éclatante, Gene s’était mariée à quinze ans avec un jeune soldat, Duane Anderson. Elle eut avec lui deux garçons, mais son mariage ne tarda pas à battre de l’aile. Sans doute était-elle encore trop enfant pour assumer les tracas incessants de la vie quotidienne. Elle menait, tant bien que mal, de front un emploi de serveuse et l’éducation de ses fils.
Elle souffrait d’avoir coupé si brutalement les ponts avec ceux qu’elle aimait et avait le cœur chaviré à la pensée que certains prendraient leur départ précipité comme une gifle.