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Citations sur Furie (7)

Il pensa: la vie n'est que fureur. La fureur - sexuelle, œdipienne, politique, magique, brutale - nous hisse à nos plus subtils sommets et nous précipite dans nos plus vulgaires abîmes. C'est de la fureur que naissent la création, l'inspiration, l'originalité, la passion, mais aussi la violence, la douleur, la destruction implacable et l'échange de coups dont on ne se remet jamais. Les Furies nous traquent ; Shiva danse sa danse furieuse pour créer et aussi pour détruire. Mais peu importe les dieux ! Sara fulminant contre lui représentait l'esprit humain sous sa forme la plus pure, la moins socialisée. C'est cela que nous sommes, ce que nous déguisons en nous polissant - la terrible bête humaine qui est en nous, le seigneur-créateur, autodestructeur et sans entraves. Nous nous hissons l'un et l'autre jusqu'aux cimes de la joie. Nous nous dépeçons l'un l'autre sans pitié.
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Quand j'écrivais " Furie " entre 1999 et 2001 ; le conflit entre deux conceptions du monde , l'une religieuse et l'autre pas faisait parie de ma vie . Et lors mon premier séjour à New-York , en 1973 , un ami m'a invité dans un bar qui surplombait le World Trade Center alors encore en construction , le Windows on the world ; C'est la raison pour laquelle ces deux éléments se retrouvent dans le roman . " Furie " , c'est le constat de décès d'une époque : l'ère de l'analogique ( mais aussi celle de la richesse du langage , de l'analogie ) cédait la place à l'ère du numérique ( la victoire finale de la mathématique sur l'alphabétique ) . C'était aussi la description d'une époque où tout le monde voulait ( et pouvait ) devenir célèbre , devenir une personnalité . On voit où ça a mené : Trump président .
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L’homme qui venait de s’exprimer aussi peu discrètement était un type dégingandé, aux cheveux frisés à la Garfunkel, la quarantaine, et qui promenait un chien moucheté. Solanka mit un moment à voir l’oreillette du téléphone à travers le halo de cheveux roux. Ces temps-ci, songea Solanka, nous ressemblons tous à ces poivrots ou ces cinglés qui confient leurs secrets aux quatre vents en déambulant. Il avait devant lui l’exemple frappant de cette réalité contemporaine désintégrée qui le préoccupait. Art-le-promeneur, qui n’existant en cet instant que dans le continuum téléphonique – un néo « sound of silence » - , ignorait complétement que dans l’autre continuum, celui de la 70e Rue, il révélait ses plus intimes secrets à des inconnus
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Il avait cru que ce serait facile.
La nuit était plus noire qu’elle n’aurait dû, l’eau bien plus froide qu’il n’aurait cru. Peut-être avait-elle des raisons de s’inquiéter. C’était bien mal le connaître. Il se dit qu’il devait tout donner, chercher, dans ses tripes, la force et le courage. La rive ne devait pas être très loin, il n’avait aucune idée du temps écoulé depuis qu’il avait commencé sa traversée. Finalement, c’était bien une épreuve. La tête lui tournait légèrement.
L’alcool qu’il avait bu, le manque d’oxygénation de son sang, son rythme cardiaque qui s'accélérait, tout le fragilisait. Pas au point de le mettre en péril, bien sûr...
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C’était décidé. Dès que l’épreuve aurait pris fin, il lui dirait
tout ce qu’il avait sur le cœur. Elle ne lui en voudrait pas, il
s’était trompé, c’est tout. Une âme sœur, c’est fait pour ça.
C’était elle et aucune autre. Comment avait-il pu en douter ?
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Et maintenant, maintenant qu'on en est là, qu'on a baissé les armes et qu'on ne fait plus semblant et qu'on est tous les deux dans cette pièce dont on n'osait pas penser qu'elle puisse exister, la chambre invisible de notre plus grande peur -- au moment même où nous découvrons qu'il n'y a aucune raison d'avoir peur, que nous pouvons avoir tout ce que nous voulons à satiété, et peut-être quand nous serons comblés nous nous réveillerons et nous nous apercevrons que nous sommes des êtres humains véritables, pas les pantins de nos désirs mais juste cette femme, cet homme, et alors on peut arrêter de jouer, ouvrir les volets, éteindre la lumière et sortir dans les rues de la ville main dans la main...
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Il était venu à New York comme l'Arpenteur dans Le Château de Kafka : dans la chute, in extremis, en proie à un espoir irréaliste. Il s'était trouvé un cantonnement, bien plus confortable que celui du pauvre Arpenteur, et depuis lors avait écumé les rues, à la recherche d'une porte d'entrée, se disant que la grande Métropole pourrait le guérir, lui, l'enfant des villes, si seulement il parvenait à trouver son cœur magique, son cœur invisible et hybride. Cette proposition mystique avait clairement détérioré le continuum autour de lui. Les choses semblaient obéir à la logique, selon les lois de la vraisemblance psychologique et de la profonde cohérence interne de la vie citadine, alors qu'en fait tout n'était que mystère. Mais peut-être qu'il n'était pas le seul à voir son identité craquer aux coutures. Derrière la façade de cet âge d'or, de cette époque d'abondance, les contradictions et l'appauvrissement de l'Occidental, ou disons de la personne humaine en Amérique, s'accentuaient et s'aggravaient. Peut-être cette immense désintégration était-elle visible dans cette ville des riches parures et des cendres secrètes, en cette ère d'hédonisme public et de peur privée.

Un changement de direction était nécessaire. L'histoire à laquelle vous mettiez fin n'était peut-être jamais celle que vous aviez commencée. Oui ! Il allait reprendre sa vie de zéro, ressouder ses moi épars. Ces changements en lui qu'il recherchait, il les provoquerait lui-même. Fini, la dérive nauséabonde. Comment avait-il pu se persuader que ce havre mercantile le sauverait, cette Gotham où le Jokers et Pingouins se déchaînaient sans un Batman (ou même un Robin) pour contrarier leur plans, cette Métropolis bâtie en kryptonite où nul Superman n'osait mettre le pied, où la richesse était confondue avec ceux qui la possédaient et le plaisir de posséder avec le bonheur, où les gens vivaient des existences si policées que les grandes vérités rugueuses de la fruste existence avaient été poncées et lustrées, et où les âmes humaines avaient erré dans le plus grand isolement pendant si longtemps que c’est tout juste si elles savaient encore se frôler : cette cité où la légendaire électricité alimentait les barrières électriques qu’on érigeait entre hommes, mais aussi entre hommes et femmes ?

La chute de Rome n’était pas due à l’affaiblissement de ses armées, mais au fait que les Romains avaient oublié ce que signifiait être Romain. Se pouvait-il que cette nouvelle Rome fût en fait plus provinciale que ses provinces ; que ces nouveaux Romains aient oublié ce qu’il convenait d’estimer, et de quelle manière ? Mais l’avaient-ils jamais su ? Tous les empires étaient-ils aussi indignes, ou celui-ci était-il particulièrement mal dégrossi ? N’y avait-il plus personne, au sein de toute cette activité trépidante et de cette plénitude matérielle, qui fût intéressé par l’exploration du cœur et de l’esprit ? O Amérique du Rêve, la quête de la civilisation devait-elle s’achever dans l’obésité et les futilités, chez Roy Rogers et Planet Hollywood, avec USA Today et E ! ; dans la cupidité des jeux télévisé, ou dans le voyeurisme à la petite semaine ; ou dans le confessionnal éternel de Ricki, Oprah et Jerry, dont les invités s’entretuaient après l’émission ; ou dans un regain d’ineptes comédies conçues pour des publics adolescents dont les rires gras et ignares rebondissaient sur l’écran argenté ; ou aux tables inaccessibles de Jean-George Vongerichten et d’Alain Ducasse ? Qu’était-il advenu de cette quête des clefs secrètes qui ouvraient les portes de l’exaltation ? Qui avait démoli le Capitole pour le remplacer par une rangée de chaises électriques, ces machines de mort démocratiques où tous, innocents, coupables, attardés mentaux, pouvaient venir expirer côte à côte ? Qui avait pavé le Paradis pour y construire un parking ? Qui avait voté pour George Bush-trou et Al Gore-Tex ? Qui avait sorti Charlton Heston de sa cage puis s’était demandé pourquoi des gosses se faisaient descendre ? Et le Graal, Amérique ? O vous, Galaads yankees, vous Lancelots suddistes, ô Parsifals des abattoirs, qu’avez-vous fait de la Table ronde ?

Il sentit une houle monter en lui et ne fit rien pour la refouler. Oui l’Amérique l’avait ensorcelé ; oui, son éclat l’avait excité, ainsi que sa vaste puissance, et à présent il était en danger. Ce qu’il attaquait chez elle, il devait également le combattre en lui. Il en venait à désirer ce qu’elle promettait et ne donnait jamais. Tout le monde était américain, maintenant, ou du moins américanisé : les Indiens, les Iraniens, les Ouzbeks, les Japonais, les Lilliputiens, tous. L’Amérique était le terrain et sa balle. Même l’anti-américanisme était de l’américanisme déguisé, car il reconnaissait que l’Amérique était le seul match à l’affiche et la question américain la seule affaire en cours. Et donc, comme tout un chacun, Malik Solanka arpentait ses vastes canyons en tendant sa casquette, tel un suppliant à genoux devant un festin. Mais ca ne voulait pas dire qu’il était incapable de la regarder dans les yeux. Arthur avait échoué, Excalibur était perdue, et le sinistre Mordred était roi. A ses côtés, sur le trône de Camelot, était assise sa reine, sa sœur, la fée-sorcière Morgane.
(p140)
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