Citations sur Cut the line (20)
Maintenant qu’il est mort, il* peut repenser à Marianne à son aise. Parce que c’est forcément comme ça quand on est mort. Le temps n’existe plus. On se souvient de tout avec netteté, de façon détachée, comme si notre vie était un simple tableau à contempler.
Il se demande ce que c’est que d’être mort. Vivant, il a conscience d’être vivant, mais mort, il n’aura aucune conscience de lui-même sans vie.
La pauvreté, tu peux pas comprendre la merde que c’est. Moi- même je ne comprenais pas bien, avant. Je voyais des gens qui en bavaient autour de moi, qui étaient vieux à quarante ans ; mais je pensais que c’était leur faute. Ils avaient pas fait gaffe ou raté une marche quelque part. Qu’ils avaient démérité quoi. Des types qui n’avaient plus envie de rien à trente ans parce qu’ils avaient déjà tout donné, qu’on leur avait tout pris. Et qui crevaient à cinquante. A soixante, t’es un patriarche dans mon coin. Dans le tien, on est jeune homme.
Il avait fallu des siècles et des siècles d’efforts pour que ces tonnes de métal s’élèvent dans les airs. Des siècles de rêve à observer les oiseaux. Quelle accumulation de connaissances, de techniques et d’efforts avait-il fallu pour aboutir à ces vingt mètres de métal bourrés d’électronique ! L’avion était bel et bien le fruit concret de la patiente obstination du génie humain à toujours vouloir se dépasser. Et ce n’était pas un vulgaire coup de vent qui allait en avoir raison.
Dès les premiers jours, les jeunes gens s’étaient aperçus que tout ce qui était simple en Europe devenait un vrai sac de nœuds au San Puerto. Passer un coup de fil relevait de la performance et aucun des cinq jeunes musiciens n’était parvenu en dix jours à joindre sa famille. Pas d’internet dans les hôtels ou les cafés, non plus. Emilio leur avait expliqué que le réseau était réservé aux ambassades, aux diplomates et à quelques happy few, comme les généraux ou les hauts gradés dont, malgré son uniforme, il ne faisait pas partie.
Juste avant la chute du mur de Berlin, les Américains avaient compris qu’ils devaient quitter le pays avant d’en être violemment chassés par un mouvement populaire, orchestré de main de maître par le leader incontesté Stefano Batista.
Ils laissaient derrière eux un pays ravagé par la misère, la corruption, l’illettrisme, et dont les matières premières, le bois, l’or, les diamants et le pétrole, avaient été méthodiquement pillées pendant des années. Espérance de vie des plus pauvres : trente-sept ans. Espérance de vie des plus riches : quatre-vingt-cinq ans.
…ça parait con de dire ça, mais quand on n’a rien, on devient primaires. On regarde juste ce qu’ont les autres, on voit qu’ils ont beaucoup et nous rien. On compare les assiettes, on voit qu’on a les miettes. Moins que les miettes, même.
Les trois garçons restent pétrifiés devant la montagne. Baiser glacé du froid. Mille aiguilles. Le froid percute. Le froid pénètre. Le froid claque. Leur poitrine se serre. Leurs poumons, deux poches qui peinent à trouver leur aliment.
…le véhicule traversa un quartier plus cossu dont les bâtiments étaient tous d’une architecture coloniale assez bien conservée, grâce à un vaste projet mis en place par l’Unesco.
-C’est ici que vivent les diplomates étrangers, expliqua Emilio. Quelques ministres aussi. Le quartier est gardé jour et nuit.
-Evidement, marmonna Gillian, le peuple, lui, il peut crever. Partout pareil.
On boit la honte de nos pères.