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Citations sur Les vieillards de Brighton (3)

A Brighton, on savourait la vie comme si elle avait un goût de fruits de mer. A l'origine, la cité maritime était un village de pêcheurs et de nombreuses petites maisons, des ruelles pittoresques et des vieux quartiers lui conservaient son cachet dix-huitième. Sa renommée naquit en 1750.
Brighton devint célèbre grâce au livre d'un médecin, le Docteur Richard Russel, qui vantait les mérites de l'endroit et ses bienfaits pour la santé de tous.
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Enfant, j’habitais Londres où mon père était un jeune attaché d’ambassade. C’était la vie rêvée. Hyde Park et son allée de fleurs violettes, les musées gratuits où l’on pouvait jouer avec des trains électriques, les magasins de jouets extraordinaires, les cantiques dans la brume, les policemen polis qui ne regardaient pas ma nurse avec insistance. Elle était suisse et s’appelait Nana. Le prince Charles enfant nous faisait parfois des signes du balcon de Buckingham. Je lui répondais. Après tout, nous avions le même âge et on nous coiffait de la même manière : de l’eau sur la tête et la raie sur le côté.

Tout cela aurait pu être une charmante histoire, avec les casquettes bleu et jaune de notre école, la St Philip’s School, les « bats » de cricket, des rues de Londres où l’on jouait avec de petites voitures Dinky Toys contre les murs gris en se salissant les mains. Je croyais vivre un « Nursery Rimes », mais je ne savais pas encore que c’était celui de Humpty Dumpty, le petit homme fragile à l’énorme tête d’œuf qui, assis, en haut d’un mur, n’ose plus bouger de crainte de se fracasser le crâne. Pour moi, l’omelette était proche, la catastrophe imminente. J’avais cinq ans, l’âge de l’innocence, l’âge où pourtant j’ai dit adieu à l’innocence. Pardonnez-nous nos enfances !

C’est vrai, j’avais un caractère difficile, je restais enfermé des heures sans jamais vouloir demander pardon. Je croyais que la colère était ma noblesse. J’explorais mes haines intérieures. Mais il faut bien avouer que j’étais très violent. Un jour mon père me surprit dans une lutte acharnée avec mon frère aîné, dont je croyais qu’il était le préféré de mes parents. J’étais en train de frapper sa tête contre les carreaux de la cuisine.

Pour apaiser la situation, mes parents décidèrent qu’un éloignement me serait profitable. On leur avait dit : « L’air de Brighton est bon pour les nerveux. » Aussi, un après-midi nous quittâmes Londres dans la belle Frégate grise qui faisait notre fierté, une vraie voiture française, et je ne compris pas pourquoi je partais seul avec mon père, sans mes frères, ni ma mère. Peut-être, au fond, me prenait-il pour un adulte. Voulait-il me parler ? Qu’allions-nous découvrir ? Je m’imaginais qu’il avait remarqué la grandeur de mon caractère et allait me confier à l’amiral Nelson qui, dans les jours à venir, me donnerait, peut-être, le commandement d’un « brick ». Mais, plus que du voyage, c’est de l’arrivée dont je me souviens. Brighton, une ville élégante mais qui fait peur par sa distinction froide ; des villas telles qu’on les imagine chez Agatha Christie, où les crimes se mitonnent dans la camomille, des gazons verts et tendres comme dans les films de Losey, où l’on ne tond que la surface de drames affreux et enterrés.

La voiture de mon père glissa dans une allée ombragée. Belle maison haute, sorte de manoir entouré d’arbres au-delà duquel on entendait le bruit de la mer. Je ne quittais pas ma petite valise dans laquelle j’avais rangé mes soldats de plomb. Nous étions arrivés. Une religieuse m’accueillit. Je laissai mon père sans émotion, tout intrigué d’abord par ce que je découvrais. Mais je ne savais pas encore l’horreur que cachaient ces murs. Le soir venait et l’on m’attribua un lit dans le grand dortoir. Vastes parquets glissants et sombres, odeurs d’encaustique et d’urine, de linge pourri et de fin de vie. O surprise, j’étais dans un asile de vieillards ; j’allais connaître le bout de la nuit.

A l’heure du goûter on m’avait déjà couché. Puis, ils vinrent et le cortège des vieillards défila sous mes yeux. Ils se déshabillaient lentement, je voyais leur peau parcheminée, lambeaux de chair, leurs chemises de nuit jaunies, leurs gestes comme livrés à l’éternité. Ils ne me regardaient pas et je sentis combien j’étais seul au milieu d’eux. Ils étaient les fantômes d’un autre monde qui surgissaient dès que le jour finissait. Mary Shelley, reine de l’effroi, avait-elle assisté au même spectacle quand petite fille, le soir, elle défaisait ses nattes ?

Comment ai-je réussi à jouer l’indifférence ? La terreur m’étreignait, mais je compris que je ne devais pas le montrer. Aussi, j’installai tranquillement sur la table de nuit mes petits soldats, « Horse Guards », « Queen’s Horses », « King’s Men »... Leurs vestes rouges étaient le témoignage éclatant de la vie. Mais, soudain d’un geste brutal, mon voisin, vieillard irritable, les balaya de la main. Ils tombèrent à terre. Bouleversé, j’éclatai en sanglots. Je les ramassai et je ne sais où je trouvai le courage de les ranger, tant bien que mal. Je me recouchai et pleurai dans mon lit. Je ne savais plus où j’en étais. Ma vie allait-elle se rétrécir et s’achever ou ne faisait-elle que commencer ?

Le lendemain matin, le soleil par la fenêtre ouverte et l’odeur des feuilles me redonnèrent du courage. Les morts ressuscitaient, mais plus humains que la veille. Ils faisaient leur toilette, et il me sembla que leurs visages étaient différents ; l’un d’entre eux m’adressa la parole. C’était un jour nouveau. Je me mis à croire à l’espoir, mais à midi au réfectoire le cauchemar recommença. Nous étions par table de six. Et j’étais assis en face d’une dame effrayante aux yeux d’un bleu intense, « Faïence-Folie ». Ses longs cheveux gris mal soignés pendaient en désordre de son front comme des mèches d’étoupe. Elle me regardait fixement et fit ce geste que j’aurais du mal à oublier ; avec sa cuillère, elle raclait bruyamment le fond de l’assiette vide, sans que la soupe nous ait été servie. Elle ne mangeait rien, et s’appliquait à ce geste absurde comme un automate. J’entends encore le bruit martelé de sa cuillère contre le fond de l’assiette vide. Je crois que j’en ai toujours peur.

Les jours passaient et je ne savais plus où j’étais. Parfois la religieuse m’emmenait avec elle, faire une promenade, regarder le ciel. Devant les devantures d’un magasin de jouets où étaient exposés les soldats de mes rêves, elle proposa de m’en offrir mais j’avais déjà sombré dans une sorte d’hébétude et je me souvenais qu’il fallait répondre poliment « Non, merci ». Le soir venu, je le regrettai amèrement. Si j’avais réagi de la sorte, n’était-ce pas la preuve que je n’étais plus un enfant ? En quelques semaines, j’avais changé de statut. Comme ceux avec qui je vivais, j’étais devenu un petit vieillard.
Quelques jours plus tard, j’eus l’impression de m’être fait un copain du même âge.

Le dimanche suivant, il m’emmène en promenade au golf de Brighton. Je vois passer d’autres enfants mais je les ignore. Ils ne peuvent pas comprendre. Quand le soir nous rentrons à l’hospice, je me retrouve en robe de chambre comme les vieillards. Un petit mouchoir sale, en guise de pochette, pour faire chic. Je me sens très à l’aise et il m’arrive même de plaisanter avec les sœurs. Je suis devenu assez vite un habitué de la maison et je me veux propret et distingué. J’ai des chaussons. Il m’arrive de sortir, mais cela m’ennuie un peu.

Je n’attends rien et je sais tout. J’ai cinq ans et je suis vieux.
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Les avances d'une petite fille qui avait l'air d'une femme fatale, c'était trop pour moi. Je me détournai, gêné. Elle me retint par le bras, son visage reflétant une douleur, une déception que je n'ai jamais oubliée. Elle avait voulu aller trop vite et elle ne savait pas qui j'étais. Car, si elle agissait déjà comme une jeune fille, moi, j'étais un vieux petit garçon (page 239)
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