Edmonde

Elle bouillait. Une émotion inconnue, violente, s’empara d’elle. Ça ressemblait à un accès de colère et ça ne l’était pas. Un coup de cravache, plutôt, qui la cinglait. L’émotion n’avait pas encore de nom. Elle la nommerait plus tard, le temps venu, le temps de comprendre. Le sentiment patriotique.

Qu’il la touche, et elle n’était plus elle-même. Femme aux manières policées le jour. Mais femme sauvage des draps froissés, libre, osée. Faite de feu, de lumière et de sueur. Les draps parlaient vrai, Camillo l’avait compris dans d’autres bras. Dans le cas d’Edmonde, le contrôle total qu’elle exerçait généralement sur ses émotions n’avait aucune prise sur sa peau au grain divinement fin.

Cyprienne se laisse griser. La passion amoureuse, les mondanités… ça lui passera. Elle nous reviendra. Tu verras, on la trouvera de notre côté si les circonstances tournaient mal. J’en suis sûre…
Son plaidoyer achevé, elle se rendit compte qu’il avait fallu plus de quatre années pour qu’elle évoque avec sa mère, fût-ce à mots couverts, la liaison de Ciano avec Cyprienne.

Les gens s’amuseront avec fureur, intimement persuadés qu’ils le sont, que les choses craqueront dans deux mois et qu’il faut à tout prix profiter. Car malgré toutes les belles choses que je te raconte, je ne pourrais pourtant pas te dire que le moral en est meilleur pour cela.

Tout le monde se précipite au film de Fred Astaire qui relate la vie de Vernon et Irene Castle, le fameux couple de danseurs américains. C’est une pure merveille.

Poète, fantasque, drôlissime et langue de vipère, Jean avait la haute taille des hommes Charles-Roux, leur visage allongé, mais ses gestes paraissaient si délicats, il pirouettait si vivement dans l’espace ou par l’esprit que, chez certains, son apparition provoquait un léger trouble. Edmonde avait mis du temps à comprendre qu’il aimait les garçons, avec une intensité déraisonnable. Les parents savaient-ils ? Elle l’aurait juré, ils savaient, chacun en son for intérieur. Ils préféraient fermer les yeux, priant pour que Jean reste dans les clous. L’héritier Charles-Roux ferait un bon mariage, perpétuerait la lignée et le nom, on n’y verrait que du feu. Ça arrivait à d’autres, une tuile pareille. Edmonde tremblait pour lui. L’Italie fasciste pourchassait les invertis, puisque tel était leur nom. Les raflait, les bastonnait, après quoi on les jetait en prison où on n’entendait plus parler d’eux.

Les fascistes comptent sur l’appui de l’Allemagne et sur les désaccords internes de la France ! Je peux vous assurer qu’ils se réjouissent de voir nos partis de gauche hurler contre le fascisme tout en coupant les jarrets du pays en multipliant les grèves !

Ils s’étaient aimés en secret, dans la solitude. Ils s’étaient aimés au creux des vagues qui mouraient au pied de leur île, l’été. Baisers échangés à la hâte, dans la chaleur étouffante d’une cabine, à l’insu des gouvernantes assises dans le sable à quelques mètres de leur impatience,à l’insu des adultes bavards et ignorants de leurs premières amours maladroites sur cette plage de Capri. Ils avaient grandi en se gardant dans le cœur, à présent ils s’aimaient, persiennes tirées, à l’abri du cocon qu’ils avaient ménagé parmi les dédales du palais Caetani, pompeusement baptisé « l’appartement de Camillo ».

Non, la difficulté pour une jeune fille briguant une alliance avec cette maison tenait aux femmes. Des phénomènes. Toutes. Comme si les ducs de Sermoneta s’étaient transmis le même tropisme de père en fils : épouser une aristocrate étrangère, de nature émancipée, battante, excentrique de préférence, intelligente surtout. Le genre de femme dont les initiatives ne cessent d’étonner et de ravir son époux.

Le charme tient à cette expression orageuse, au regard clair énigmatique. Une nature réfléchie, à coup sûr, une de ces filles dont on dit en se tapotant le front : « Il doit s’en passer des choses là-dedans. »