Le plaisir de jouer s'était mué en délectation morbide et celle-ci en esclavage.
Aucune voix, aucun son, un vacuum absolu. Rien à faire, rien à écouter, rien à voir, un vide privé d'espace et de temps.
Ce fut surtout durant les auditions qu’il s’avéra que ma pensée s’était clarifiée et concentrée ; inconsciemment, j’avais perfectionné devant l’échiquier ma défense face aux feintes menaces et aux ruses perfides. Je ne laissai entrevoir aucun de mes points faibles pendant les auditions, j’eus même l’impression que les sbires de la Gestapo commencèrent peu à peu à me considérer avec un certain respect.
J’appris de ses parties jouées par ces grands maîtres les finesses, les ruses dans l’attaque et la défense. Comme on peut reconnaître un poète à ses vers, je pouvais distinguer le style et la tactique de chaque joueur. Ces chers camarades.
Les premiers pas, furent un fiasco, je n’arrêtais pas de m’embrouiller, 5, 10, 20 fois je dus reprendre le début de cette partie. Mais j’avais tout mon temps… moi, l’esclave du néant.
Cette attente était un plaisir, j’avais quelque chose de nouveau à considérer, enfin quelque chose de nouveau pour mes yeux affamés… et ils accrochèrent avec avidité au moindre détail. Quand soudain, mon regard s’arrêta net sur quelque chose. Mes genoux se mirent à trembler : un livre !
Vole le livre maintenant ! Tu pourras lire ! Enfin lire à nouveau.
Je sentais que mes nerfs allaient lâcher, et conscient de ce danger, je cherchais des échappatoires, quelles qu’elles soient.
Alors seulement je commençais à comprendre quel sens diabolique avait ce système de la chambre d’hôtel, cet assassinat psychologique.
- Vous comprenez ce qui se passe, vous ?
- Pas le moins du monde. Mais, de toute évidence, la bataille a commencé.
Je ne veux surtout pas replonger dans cette fièvre passionnée qui a bien failli me perdre.