Le vent se leva d’un coup, inattendu, brutal ; renversant au marché de Santa Margherita les paniers des maraîchères, arrachant les drapeaux au fronton des palais et les tentures au balcon des étages nobles, secouant les flammes aux mâts des bateaux, ridant l’eau des canaux, faisant passer au-dessus de la Giudecca une âpre odeur de mer ; balayant nuages, brumes et brouillard, et le tissu blanc qui, depuis des jours, collait aux visages. Comme sur une peinture que la poussière avait ternie, on vit d’un coup les couleurs renaître, les formes resurgir. Soudain, tout fut neuf, clair, éveillé, brillant, l’eau miroitante, les pierres éclaircies, et le ciel.
... cinq est le chiffre parfait des rencontres amoureuses ; il dessine une courbe qu'on peut maitriser et surtout il offre, dans le numéro trois, une circonstance exquise : la certitude que ce moment est unique (...), puisque suivi du même nombre de rencontres que celui qui a précédé la troisième, il est à la fois un sommet et un nouveau départ.
A son grand étonnement, cependant, ce qu’elle reconnaissait, pouvait saluer et nommer, ce n’étaient pas seulement les beautés de l’architecture et de la peinture. Par une entorse involontaire à ses principes, elle avait fait siennes la beauté lumineuse du matin se levant sur la Giudecca, l’ombre tombant de la Dogana da Mar à l’heure où le soleil se couche, l’odeur des scampi fritti et les voix tendres et mélodieuses des gondoliers chantant en fin d’après-midi la rengaine éternelle des amours contrariés.