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Citations sur Pandore au Congo (19)

Cette histoire commença par trois enterrements et s’acheva sur un cœur brisé : le mien. L’été 1914, j’avais dix-neuf ans et j’étais à moitié asthmatique, à moitié pacifiste et à moitié écrivain. A moitié asthmatique : je toussais moitié moins que les malades, mais deux fois plus que les bien portants. A moitié pacifiste : en réalité, j’étais trop mou pour militer contre les guerres. J’étais juste contre le fait d’y participer. A moitié écrivain : le terme écrivain est prétentieux. Même quand je dis “à moitié écrivain” j’exagère. J’écrivais des livres sur commande. C’est-à-dire que j’étais un nègre. (Dans le monde de l’édition on qualifie de “nègre” celui qui écrit des livres que d’autres signent.)
(Incipit)
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Un bon auteur doit suivre son propre chemin, très en marge de celui qu’ont ouvert les classiques. Un auteur ne devrait jamais s’intéresser aux livres qu’il veut imiter, mais à ceux auxquels il ne veut pas que ses œuvres ressemblent.
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Nous conservons la douleur dans des boîtes. Il est surprenant de voir de quelle façon un simple mot peut les ouvrir et nous jeter leur contenu à la figure. Les deux syllabes du mot “Congo” transformèrent l’homme qui se trouvait en face de moi. Des doigts invisibles étirèrent la peau des joues vers le bas comme si la fermeté de la gravité s’était soudain accrue. Ses pupilles se dilatèrent. Le duc voyait un paysage privé et épouvantable. Je ne désirais pas lui faire de mal.
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Ne redemandez jamais à un avocat si ses clients sont coupables. Si Jack l’Eventreur était mon client, je défendrais ses intérêts. Mais nous ne devrions pas mêler la vocation de défendre quelqu’un à la possibilité de croire en lui. Ce dernier point appartient à la sphère privée. Et mes convictions les plus intimes sont contre la peine de mort. Quand l’Etat tue, il nous assimile au pire des assassins.
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Il continua vers le haut, toujours plus haut. Les troncs étaient maintenant plus minces. Les feuilles lui frappaient le visage et lui griffaient les mains. Marcus voulait monter un peu plus haut, encore un peu plus.
Finalement, il tendit le bras et une petite branche se brisa entre ses doigts. Ce fut comme si une lucarne s’ouvrait : les yeux les plus verts de l’Afrique se heurtèrent au ciel le plus bleu du monde.
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Les Blancs font toujours la même chose. D’abord, les missionnaires arrivent et menacent de l’enfer. Ensuite viennent les marchands, qui volent tout. Puis les soldats. Tous sont mauvais, mais chaque nouvel arrivant est pire que le précédent.
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Je m’étais laissé conduire à cette guerre comme un agneau à l’abattoir. Et une fois pris dans un uniforme d’agneau, il était inutile d’esquiver mes responsabilités d’agneau. Les agneaux ne sont pas innocents, ils sont idiots. Que dis-je un jour à Marcus Garvey ? « Moi, je ne serais jamais allé au Congo ». Mensonge. Il n’était pas possible d’imaginer une tuerie générale plus grande que cette guerre, et au cœur même de l’Europe. Le Congo n’était pas un lieu, le lieu, c’était nous. Le jour où je m’enrôlai, je devins le Marcus Garvey qui tendait la main pour que les frères Craver y mettent des bâtons de dynamite. Il lançait les bâtons un par un, je dirigeais des canons de gros calibre vers leur objectif. Qu’est-ce qui était pire, en réalité ?

Je superposai les deux raisonnements. J’aurais dû le comprendre plus tôt. Si j’acceptais mon avenir comme docteur Flag, si je renonçais à la littérature pour me consacrer, simplement, à écrire des feuilletons, ce que je faisais, c’était grossir les rangs de la résignation humaine. Chaque bon livre que je n’écrirais pas serait comme un clocher détruit. Je le compris et me dis : « Merde à Flag, je ne suis pas un nègre de Flag, je ne veux pas être Flag. Ce que je dois faire, c’est retourner à la maison et écrire le livre, le récrire mille fois, et mille autres fois, si nécessaire, avant de produire un grand livre. »

Ce fut ainsi que j’arrivai au septième et dernier jour de mon passage sur le front. Je ne l’oublierai jamais. J’étais à l’intérieur d’un trou qu’avait fait un obus de gros calibre. Il avait la forme d’une saucisse et il était plus gros qu’un préau d’enfants de l’école maternelle. Il recommençait à pleuvoir. Je m’installai comme je pus dans le fond de ce cratère lunaire. Cette nuit-là, un violent duel d’artillerie avait éclaté entre les deux parties. Comme je me trouvais à mi-chemin entre les positions anglaises et allemandes, les projectiles des deux côtés décrivaient une parabole juste au-dessus de ma tête. Ce spectacle pyrotechnique possédait une beauté inégalable qui rivalisait avec un phénomène naturel. Quelle longue nuit. J’étais sous une cloche de feu et en même temps il pleuvait, il pleuvait plus que jamais. Des bords du plateau de mon casque, tombaient des cascades d’eau. Je n’ai jamais été trempé comme ce jour-là. La seule chose que je pouvais faire était de me recroqueviller comme un enfant qui se protège, entourant mes jambes de mes bras.

Je ne pouvais pas bouger, je ne pouvais qu’attendre, je passai donc le temps à penser à elle. Au début, je tentai de reconstruire jusqu’au dernier détail de sa main. La blancheur mate de la peau, les six doigts, des ongles qui entraient extraordinairement dans la chair, jusqu’à la première articulation du doigt. Je peux encore me voir : enroulé comme un fœtus au fond de cette flaque de boue, les vêtements trempés, les bras croisés et un rideau de pluie tombant sur les bords de mon casque. Je pensai ensuite au clitoris d’Amgam. Marcus n’en avait jamais parlé. Comment pouvait-il être ? Aussi blanc que le reste de sa peau ? Pourquoi n’aurait-il pas été noir, aussi noir que ses yeux ? Rouge ? Bleu ? Jaune ? Dans le livre, naturellement, je ne parlais pas du clitoris d’Amgam. Trop obscène. En revanche, pendant que je pensais au clitoris d’une femme tecton, les projectiles de toute l’artillerie des armées anglaise et allemande se croisaient au-dessus de ma tête.
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« Oh, ne vous en faites pas, monsieur Norton. J’ai trouvé le truc, avec ce pauvre idiot. Le secret consiste à lui dire ce qu’il veut entendre. Chaque jour, quand nous commençons notre séance, je n’ai qu’à lui donner un peu de grain à moudre pour qu’il m’indique lui-même dans quelle direction il veut que parte l’histoire. Je lui raconte ce qui lui fait plaisir, c’est tout. »
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Qui m'avait tiré par les chevilles ? Je ne le saurai jamais. J'ai toujours voulu penser que ce fut un Allemand. Que quelqu'un m'ait sauvé la vie avec autant de générosité et à l'encontre des intérêts de sa patrie serait la preuve irréfutable d'une chose, d'une seule chose, mais très importante : que sur ce champ de bataille sur lequel s'affrontaient des milliers de combattants il y avait au moins un homme.
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Et maintenant il est possible que quelqu'un se demande : compte-t-il vraiment interrompre le récit précisément là, alors que Marcus vit l'un de ses pires moments, pour nous expliquer vos petits combats ? Eh bien, la réponse est oui, je compte le faire. Pourquoi ? Parce que j'en ai envie.
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