Même si une couverture n'en dit pas beaucoup sur le contenu (comme Cédric en fait l'expérience encore récemment), on peut essayer de deviner à quel style raccrocher la trilogie en fonction des illustrations. Sur la couverture du premier tome, on peut voir une jeune fille proprette au look moitié Matrix, moitié Petite Maison dans la Prairie avec un saï. Sur celle du deuxième tome, elle semble faire du pole-dance, et sur la troisième du funambulisme en robe de bal. D'abord interloqué, on est rassuré en ouvrant le premier livre : la présence d'une carte (pas très réussie) nous apprend que nous nous trouvons bien en face d'un roman de Fantasy. Ouf.
L'action de Mistborn : the Final Empire se déroule dans la capitale d'un empire dominé depuis des millénaires par un despote immortel auquel la population prête des pouvoirs divins. Il règne sans partage en ayant donné à une toute petite classe de nobles un pouvoir absolu sur le reste de la population, tellement asservie et opprimée qu'elle ne manifeste plus aucune résistance. On discerne tout de suite le "what if" par rapport aux schémas traditionnels de la Fantasy : "Qu'est-ce que ça donne quand le dieu du mal dont le héros combat le retour, gagne ?" Chez Sanderson, cela donne des millénaires d'une dictature esclavagiste contre laquelle un ancien voleur, Kelsier, fomente un coup d'Etat.
Kelsier rassemble un petit groupe, et c'est leur tentative de rébellion que le récit suit, jusqu'à sa conclusion. L'intrigue suit un schéma que l'on reconnaît vite : la constitution d'une bande d'experts, la préparation du plan, les changements de dernière minute, l'exécution proprement dite, et le fameux twist final ou twist ending très fréquent ces dernières années au cinéma. Hé oui, ça fait penser aux films de braquage ou d'arnaque (le genre "Heist" ou "Confidence game", illustré par Ocean's Eleven, Neuf Reines, et autres), et c'est fait exprès.
Le protagoniste principal de la série est la jeune Vin, une adolescente que Kelsier extirpe de la bande de voleurs dont elle est le souffre-douleur, pour lui révéler ses capacités magiques et lui apprendre à les utiliser. D'abord méfiante envers cette générosité dont elle ne discerne pas la cause, Vin finira par se lier avec chacun des membres de la bande, et trouvera sa place en leur sein. le point focal du roman est donc l'évolution émotionnelle de Vin, et les nombreux dialogues posent les rapports entre Vin et les autres personnages. Ce soin attaché au développement des personnages ne se fait pas aux dépends de l'action, et il n'y a que l'abondance de bons sentiments qui pourra quelque peu agacer.
L'autre aspect majeur de la série est l'utilisation de la magie. "Gamer" assidu (jeux de rôle, jeux de plateau, jeux de cartes à collectionner), Sanderson attache une grande importance aux mécanismes de son système de magie, qui en devient un des éléments essentiels de l'histoire. Dans Mistborn, les nobles se transmettent héréditairement des capacités d'"allomancie" : un allomancien ingère des fragments de métal pour, en les catalysant, en extraire des capacités extraordinaires. Chaque métal fournit une capacité, et les allomanciens n'ont en général qu'une affinité avec l'un d'entre eux. Mais certains, rarissimes, appelés fils-des-brumes (mistborn), peuvent catalyser tous les métaux. Leur rôle est fondamental dans les luttes d'influence et de pouvoir que se livrent les grandes maisons nobles, qui veillent précieusement sur leurs membres ayant développé ces capacités. Les membres de la bande de Kelsier sont tous des descendants de maisons nobles (avec un aïeul né du mauvais côté du lit), et Kelsier lui-même est un fils-des-brumes, ce qui donne à la rébellion les moyens de lutter contre les nobles avec leurs propres armes.
Il est ici nécessaire de détailler le fonctionnement de l'allomancie, car celle-ci structure énormément le récit. D'une part, la jeune héroïne, Vin, est une fille-des-brumes, et le lecteur découvre l'allomancie en même temps qu'elle. D'autre part, cette magie est très visuelle, et fait que les (nombreuses) scènes d'action empruntent leur imagerie aux films de kung-fu ou à Matrix de façon évidente. Les pouvoirs que les métaux ingérés confèrent sont classés de façon très ordonnée selon un sytème de paires (interne / externe, physique / mental, espace / temps, introspectif / extrospectif), et représentés sur le tableau ci-dessous. L'allomancie peut aussi attirer les métaux (externe / physique / introspectif), les repousser (externe / physique / extrospectif), accroître sa force et son endurance (interne / physique / extrospectif), passer en bullet time, etc. Les allomanciens utilisent l'attraction ou la répulsion des métaux de façon très créative, en s'appuyant sur les clous et rivet pour se propulser dans les airs, ou en lançant des pièces de monnaie pour les transformer en projectiles mortels aux trajectoires erratiques. Les fils-des-brumes ressemblent donc moins à Gandalf et Merlin qu'à Néo, Trinity ou des ninja de manga.
Si l'on rassemble tous ces traits distinctifs (l'histoire de "braquage", le récit sentimental très "young adult" ou "adulescent", le contexte politique du récit type "What If", et les scènes d'action façon Matrix), on obtient au final un divertissement original et bien fait - ce qui est beaucoup mieux que beaucoup de romans de fantasy.
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