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Critique de Lamifranz


"Les Mouches", c'est une fois de plus l'histoire d'une famille infernale. Pas celle d'Oedipe, Jocaste, Antigone et Ismène, illustrée par Cocteau ("La machine infernale" - 1934) et Anouilh ("Antigone" - 1944) mais celle d'Agamemnon, Clytemnestre, Oreste et Electre, illustrée par Giraudoux ("Electre" - 1937) et O'Neill ("Le deuil sied à Electre" - 1931)
L'histoire n'a pas changé : Oreste revient à Argos, où, poussé par sa soeur Electre, il va venger la mort de son père Agamemnon, tué par sa femme Clytemnestre et l'amant de celle-ci Egisthe. Les motivations des personnages et la portée qu'ils donnent à leurs actes font tout l'intérêt de la pièce, faisant de celle-ci une pièce philosophique et politique, tout autant que psychologique.
Alors me direz-vous, que viennent faire les mouches là-dedans ? Oreste déjà parricide (il a tué son père Laïos) et bientôt matricide (il va tuer sa mère Clytemnestre) aurait-il également une vocation d'insecticide ? Ne riez pas, parce que ce n'est pas tout à fait une blague : les mouches dans la pièce de Sartre, sont la personnification de la culpabilité et du remords. En exerçant sa vengeance sans arrière-pensée (ce qui n'est pas le cas de sa soeur Electre) il délivre tous les personnages, y compris les habitants d'Argos de ce manteau de culpabilité.
La culpabilité, le remords, le repentir, le pardon, éventuellement, forment donc le premier thème abordé par Sartre dans "Les Mouches". C'est loin d'être le seul : le personnage d'Oreste (qui semble bien être le personnage central de la pièce) participe à la libération d'Argos et de ses habitants, et ce faisant il se libère lui-même, en s'affranchissant de tout remords, de tout sentiment de culpabilité (ce que ne saura pas faire Electre), et même en tenant tête à Jupiter. Mais cette liberté ne lève pas toutes les questions : elle condamne l'homme libre à une forme de solitude : être libre c'est être seul, et être seul, est-ce être libre ? Oreste préfigure le Garcin de "Huis clos" (1943) qui dira "L'enfer c'est les autres"... On peut également s'interroger sur le rôle de Jupiter, qui a l'autorité suprême, mais ne peut intimer sa loi à personne : il ne peut empêcher le crime, dicter sa conduite à Oreste, empêcher Electre de sombrer à son tour dans la culpabilité... Les dieux n'existent que tant qu'on ne leur résiste pas... Et la résistance c'est une forme de liberté...
C'est là peut-être le dernier message subliminaire de Sartre : écrite et créée en 1943, en pleine Occupation, faut-il voir en Oreste un symbole de Résistance / Liberté, face à un Jupiter et un Egisthe représentant un pouvoir tyrannique (je vous laisse deviner lequel) ?
"Les Mouches" sont donc un drame complet, très riche d'implications, différent de Cocteau, Anouilh ou Giraudoux, parce que plus cérébral, moins poétique, moins fantaisiste, mais tout autant attachant par son pouvoir d'évocation, et ses incidences philosophiques.
On voir encore ici toute la force et la pérennité des mythes grecs qui, au-delà des hommes et des dieux, englobent la condition humaine dans toute sa singularité et toute sa richesse.
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