Alors que la nature se pare des couleurs chaleureuses de l'automne, j'ai eu envie d'une balade livresque dans les immenses forêts du Canada, autant qu'un voyage par les mots. C'est ainsi que mes pas m'ont menée vers le roman de l'auteure québécoise,
Jocelyne Saucier.
Je ne connaissais pas ses écrits, mais le titre, résonnant d'une singulière douceur et d'un sentiment de mélancolie, m'ont attirée. Je ne regrette pas mon choix, cette histoire de moins de 200 pages, est comme un baume sur les peurs et les peines de la vieillesse.
« le bonheur a besoin simplement qu'on y consente. »
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La belle écriture de
Jocelyne Saucier se fait élégante et poétique pour nous raconter l'histoire de trois vieillards, Ted, Charlie et Tom. Epris de liberté et d'espace, ils décident de disparaître en plein coeur de la forêt canadienne, sans laisser, ni adresse, ni explication.
Par ce choix voulu et réfléchi, ils veulent repartir à zéro et écrire le dernier volet de leur existence, en demeurant jusqu'au bout, maître de leur destin. La mort, ils y pensent souvent, mais sans crainte ni tristesse. Ce qu'ils désirent, c'est, le moment voulu, pouvoir mourir avec dignité, selon leurs conditions.
« - La liberté, c'est de choisir sa vie.
- Et sa mort. »
Là, au plus près de la nature, dans des cabanes en bois construites de leurs mains, ils vivent en adéquation avec eux-mêmes, appréciant la vraie valeur des choses, le fruit de leur travail.
De leur quotidien rude et exigeant, nait une amitié profonde et sincère entre les trois hommes.
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La réalité s'invite dans la fiction.
En effet, Ted Boychuck, est un des survivants d'une série de terribles incendies de forêt qui ont réellement eu lieu et ont dévasté le nord de l'Ontario en 1916.
Au début du siècle, les colons utilisaient la technique de la culture sur brûlis pour défricher leurs terres. En cette période de forte chaleur estivale, il aura suffi de quelques rafales de vent pour transformer la forêt, de Matheson à Cochrane, en un immense brasier. Plus de deux cents personnes y perdront la vie.
Le récit débute lorsqu'une photographe d'une quarantaine d'années, la narratrice de ce récit, se présente pour rencontrer de Ted Boychuck. Elle a pour projet de faire le portrait des survivants de cette époque, de recueillir leurs histoires en vue d'un documentaire. Mais Ted vient de décéder et a emporté avec lui tous les souvenirs de ces évènements dramatiques.
L'arrivée de la jeune photographe va perturber le quotidien tranquille et routinier des deux hommes.
Pour le meilleur ou pour le pire ?
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La présence ténue de Boychuck hante tout le récit. En effet, un voile de mystère entoure le destin de cet homme, sa personnalité, ses secrets, ses obsessions et ses tourments. Les multiples portraits croisés dessinent doucement le destin de cet homme qui fascine autant la jeune femme que le lecteur.
La structure narrative du roman, composée de plusieurs voix qui se complètent, ne cesse de faire voyager le lecteur entre passé et présent. Les souvenirs qui remontent à la surface, parfois émouvants, surprennent par les choix inattendus et audacieux de l'auteure.
C'est évidemment un récit qui aborde avec une perspicacité et une absolue délicatesse l'histoire de ces trois vieillards qui forcent leur destin en décidant de ne pas finir leurs jours dans des « mouroirs ». Et si la mort est attendue par chacun avec sérénité, ce roman, dans lequel priment la liberté, l'amour et l'amitié, se tourne incontestablement vers la vie et la recherche du bonheur.
« Elle en était venue à les aimer plus qu'elle n'aurait cru. Elle aimait leurs voix usées, leurs visages ravagés, elle aimait leurs gestes lents, leurs hésitations devant un mot qui fuit, un souvenir qui se refuse, elle aimait les voir se laisser dériver dans les courants de leur pensée et puis, au milieu d'une phrase, s'assoupir. le grand âge lui apparaissait comme l'ultime refuge de la liberté, là où on se défait de ses attaches et où on laisse son esprit aller là où il veut. »
Il est question aussi de traumatismes physiques et psychologiques hérités de l'histoire personnelle de chacun, de résilience à travers la nature et l'art.
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Ce court roman dégage beaucoup d'humanité, de sensibilité et de générosité.
Plus l'histoire avance, plus les personnalités s'étoffent. En effet,
Jocelyne Saucier, d'une plume subtile et délicate, relie passé et présent, entrelace de nombreuses histoires, illuminant son récit par des personnages auxquels on ne peut que s'attacher.
Les mots sont simples et justes.
« Il y avait un pacte de mort entre mes p'tits vieux. Je ne dis pas suicide, ils n'aimaient pas le mot. Trop lourd, trop pathétique pour une chose qui, en fin de compte, ne les impressionnait pas tellement. Ce qui leur importait, c'était d'être libres, autant dans la vie qu'à la mort, et ils avaient conclu une entente. »
La forêt, vaste, belle et sauvage, est magnifiquement étudiée et décrite. Elle apporte un magnifique contrepoint, où le rythme des saisons est comme un écho de l'âme à travers la vie, la vieillesse, la maladie, et la mort.
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Récompensé par plusieurs prix littéraires, «
Il pleuvait des oiseaux » est un joli texte sur la vieillesse et l'autodétermination. Dans cette solitude voulue, dans ce désir de liberté, les personnages de cette histoire ont su m'émouvoir. Les belles descriptions de paysages forestiers, la proximité avec la nature en ont fait un roman beau et tragique.
Même si la trame est sombre, on ne tombe jamais dans le pathos. Une belle lumière mordorée donne à ce récit une atmosphère apaisante, mélancolique ou mystérieuse. La fin, inattendue, belle, touchante, est comme un pied de nez au temps qui court et à la mort.
Une belle histoire que je vous laisse découvrir.
« J'aime les histoires, j'aime qu'on me raconte une vie depuis ses débuts, toutes les circonvolutions et tous les soubresauts dans les profondeurs du temps qui font qu'une personne se retrouve soixante ans, quatre-vingts ans plus tard avec ce regard, ces mains, cette façon de vous dire que la vie a été bonne ou mauvaise. »