Une fille qui sortait avec un Cambodgien était une traînée . mais les hommes non , à condition qu'ils n'en fassent pas leurs épouses , qu'ils ne les substituent pas à la légitimité du sang blanc . La pureté du ventre des femmes , c'est ça la patrie , la patrie perpétuelle , le viol des femmes par les guerriers , la queue plantée dans leur corps , une terre prise , dans le mouvement même de la conquête et de la souillure . (page 59 )
Car ici, tout est esprit, peuplement par la nuée, la migration des éléments, le fluide et l’instable, et pourtant forces irrépressibles. Ce qui est mort l’est-il vraiment ? Alors pourquoi le poteau télégraphique reprend-il racine et se couvre-t-il de feuilles ?
Et je me demande souvent ce qui, dans notre organisme, nous fait continus. Toutes nos cellules se renouvellent, est-ce qu’elles se passent le message de ce qui a été vécu par les cellules ancêtres ? Ont-elles seulement une mémoire, ou simplement une fonction à laquelle elles s’appliquent exclusivement ? J’apprends qu’on n’est pas totalement renouvelé. Je savais déjà que le nombre d’ovocytes est strictement limité, quand il n’y a plus, il n’y a plus, contrairement aux spermatozoïdes. Comme les dents, existences uniques dans nos bouches. Et les neurones du cortex, pareil. Je n’arrive pas à croire que toutes nos autres cellules, les reconductibles, ne gardent pas quelque chose de ce qui a été vécu, que toute la mémoire soit l’affaire du néocortex.
D’ailleurs la peau porte la trace des blessures, les cicatrices. Peut-être les corps flottants sont des cicatrices. Des cicatrices vivantes, animées.
Il y a, dans ces hallucinations brèves, que nous n’osons pas évoquer, parce qu’elles nous mettent en rupture avec les autres – précisément parce qu’elles sont l’écrasement de l’individu dans sa singularité, dans son impossibilité d’être relié –, il y a dans ces moments quelque chose qui se substitue à ce qui devrait être et qui devient pire que la disparition même. Des corps flottants.
J'attends ce que j'appelle le coche d'au, un bateau électrique qui me conduit au Carrefour d'Aubervilliers depuis la Villette, le long d'une darse du canal Saint-Denis.