Sébastien gérait la partie administrative avec l'enthousiasme et la célérité d'un employé de la poste. Bertrand s'occupait du "pole artistique", comme il l'appelait, avec autant de ferveur et de conviction qu'un non-croyant.
Il lui suffisait de vouloir pour avoir, de demander pour obtenir, d'ordonner pour se faire obeir.
Elle était le centre autour duquel les autres gravitaient, electrons attentifs et soumis n'existant que pour satisfaire tous ses désirs.
(...) il la fixa et lut dans son regard qu'elle l'aimait à en crever, envers et contre tout. Plus il s'évertuait à la faire fuir, plus elle s'accrochait. Elle se fichait pas mal qu'il fût dépressif, alcoolique ou drogué, du moment qu'elle avait un rôle à jouer dans sa vie. Qu'il existe semblait suffire à son bonheur.
Lucie n'avait plus peur. Elle avait gagné.
Elle se rendit à la salle de bains en titubant, les lèvres serrées pour ne pas hurler tant la souffrance était atroce. Elle se déshabilla à la hâte, entra dans la cabine de douche et ouvrit les robinets à fond. Grelottante, le corps souillé, en miettes, elle se tassa dans un coin et éclata en sanglots. Elle ne laisserait plus personne lui faire du mal. (...) Elle ferma les yeux et tendit le visage vers le jet d'eau purificateur.
L'idée de décevoir sa fille était si ancrée en lui qu'elle l'empêchait de l'aimer.
Affronter les vivants était devenu un enfer quotidien. Elle les haïssait, tous autant qu'ils étaient. Chacun d'eux était un ennemi en puissance. Leur faire du mal avant qu'ils ne lui en fassent était le meilleur moyen de se protéger. Ne jamais baisser sa garde était une question de survie.
Cette idée se dissipa peu à peu dans son esprit, comme les brumes de l'alcool les lendemains de beuverie.