Un bref regard sur l'histoire nous montre que bien des oeuvres singulières
ont été, lors de leur création, soit qualifiées de géniales, soit démolies par
la critique. Mais toujours il s'agissait d'oeuvres exceptionnelles,
différentes, hors normes, choquantes parfois, mais qui toutes avaient ceci
en commun, elles attisaient les passions.
Et qu'avons-nous ici; une oeuvre qui propose aux lecteurs autant d'histoires que de personnages, une oeuvre dont la chronologique est sans grande utilité et dont le seul fil conducteur demeure une nageuse dont les prouesses n'ont été
démontrées qu'en de très rares occasions. Nous voici devant un ouvrage construit, semble-t-il, sans but précis, sans structure palpable ou rassurante pour le lecteur,
bref, une oeuvre d'exception, une oeuvre hors du commun, une oeuvre d'exception.
Car c'est dans ces singularités, dans ce chaos apparent, que Dominique
Scali nous révèle son immense talent.
Par son audace, par sa langue inventive qui rend admirablement bien toute la
brutalité de la mer, son poids d'écueils et de brume, par son style d'une
incommensurable puissance,
Dominique Scali dépeint avec une rare
précision, la survie et la mort d'un peuple de naufrageurs des rivages
rejetés par une orgueilleuse Cité que chacun rêve d'habiter.
Oubliez les règles narratives, les structures classiques nécessaires à l'évaluation d'un roman, parce qu'ici tout est différent. Les personnages n'ont que faire de l'histoire. Ils
mènent leur propre existence, car chacun est en soi une histoire. Il arrive
même qu'ils soient créés pour une seule réplique, tel ce vieux Galbarette
quand il parle du courage.
Chaque page a la profondeur d'une symphonie, où les thèmes se
croisent, s'estompent ou se développent, dans une harmonie presque
sonore. C'est aussi un livre-tableau où les personnages deviennent des
fresques, des ombres fantomatiques surgies des brouillards. Chaque page est à la fois
dissociée et associée à l'ensemble, dans une liberté d'oiseau des mers,
d'écume et d'infini. Et partout cette manière de révéler l'émotion sans que
les mots ne soient dits, à la manière de ces gens de peu de mots justement,
dont la survie et la sexualité sont d'un ordre quasi animal. Et puis partout
la mer, encore et toujours, avec ses marins, leurs gigues et leurs couteaux,
mêlés à la passion de leurs embrassements.
Un livre dans lequel une voix apporte çà et là, des précisions sur l'histoire
de la Cité. C'est l'autrice qui se fait alors chroniqueuse, qui s'invite dans
son roman.
Combien de passages merveilleux ne pourrait-on pas extraire de cet oeuvre
puissante ? Presque à chaque page. Mais souffrez que je vous en laisse juge : dites m'en des nouvelles quand vous en serez, pour ne citer que ce passage, au rêve de
Madeleine.
Bonne lecture, heureux lecteur encore vierge de ce monument de notre
littérature ''
Les marins ne savent pas nager'' de
Dominique Scali. Je vous
envie, vraiment…