"Le passé ne disparaît jamais " ...
"La mort déploie ses ailes. "
Grete parut sur le point de répondre, mais son père secoua la tête.
- Crois-moi, mon enfant, ces gens là ne connaissent ni l'humilité, ni amour du prochain. Ils prennent les humbles pour des faibles. Et les faibles, ils les piétinent. Ils se fichent de la religion ou du peuple, ils ont inventé leur religion à eux. Leur seigneur, c'est le surhomme. Mais leur mille ans seront vite finis.
Emmi portait un bracelet d'ambre. Les petites pierres dans leur monture d'argent alternaient avec des motifs maritimes. Il l'avait remarqué dès la première fois qu'il l'avait vue.
Il avait trouvé la jeune femme devant sa porte le jour de Noël 1943. Comme le petit chat qui s’était réfugié sur le seuil quelques années auparavant. Au début, il n’avait pas prêté attention au chaton. Il allait sûrement repartir. Mais contre toute attente, il était resté, et la neige elle-même n’avait pu le chasser, que le ciel hivernal d’un blanc laiteux déversait pourtant, après les premiers flocons épars, en un flot qui n’avait cessé de s’intensifier. Le chaton s’était recroquevillé dans l’encadrement de la porte, devenant presque invisible : on ne distinguait plus qu’une petite boule blanche blottie dans un coin.
Le chat lui avait fait pitié, il n’avait pas eu le cœur de le chasser. Il avait ouvert la porte, l’avait laissé entrer, l’avait nourri, lui avait permis de rester.
La jeune femme, elle, il l’avait vue venir de loin, en faisant rentrer le chien. Il avait d’abord cru que c’était une de ces troqueuses de la ville, que la misère poussait vers les campagnes en ce cinquième hiver de la guerre.
Mais ces gens-là étaient d’ordinaire lourdement chargés, leurs sacs à dos débordant de tous les biens dont ils pouvaient se résoudre à se séparer. Ils échangeaient
la montre en or du grand-père, la broche de la grand-mère ou un tableau de famille contre trois œufs, un morceau de beurre, un peu de lait ou de jambon. Ses voisins n’étaient pas les derniers à jouer au jeu du troc, ces derniers temps. Lui avait mal au cœur quand il les voyait arriver. Parfois, il leur donnait un œuf ou une pomme sans rien prendre en échange. Il avait suffisamment à manger, la guerre n’était pas encore arrivée jusqu’à lui, et puis à son âge, il était plus vite rassasié.
La jeune femme ne portait qu’un baluchon sur l’épaule et une petite valise à la main.
Elle était arrivée à hauteur de la maison tandis qu’il se dirigeait vers la grange. Elle lui avait demandé si elle pouvait se reposer un instant sur le banc. Ça ne le dérangeait pas. Un peu plus tard, alors que la nuit commençait à tomber, il était ressorti chercher quelques bûches, et elle était toujours là. Elle semblait frigorifiée.
— Il gèle. Tu veux entrer ?
— Je peux ?
Il avait hoché la tête.
Il lui avait approché une chaise du poêle pour qu’elle puisse se réchauffer. Elle avait posé son baluchon et sa petite valise à côté d’elle, s’était assise et avait frotté ses mains glacées. Il n’avait pas fait spécialement attention à elle, avait préparé la soupe sans un mot, avant de poser la gamelle sur la table et de lui faire signe d’approcher. Il lui avait donné une cuillère et un quignon de pain.
— Mange.
Ils avaient partagé la soupe à même la gamelle posée au milieu de la table. Elle engloutissait avidement chaque cuillerée.
— Qu’est-ce que tu viens faire par ici ?
— Je cherche un gagne-pain.
— Si tu veux, tu peux rester ici le temps de chercher. J’ai pas vraiment de quoi te payer, mais tu seras nourrie et logée.
Elle était restée. Il lui avait donné la petite chambre de l’ancien valet de ferme.
Cela fait soixante ans qu'ils passent leurs nuits côte à côte. On connaît jusqu'au moindre souffle de l'autre, à force . " Pour le meilleur et pour le pire", comme on dit si bien. qu'est ce qui l'emporte, à la fin d'une vie ? Le pire ? Le meilleur ? In ne connaît pas la réponse. Il ne s'en est jamais préoccuper, et ce n'est pas à son âge qu'il va commencer à philosopher sur le sujet.
Nous avons longuement hésité, " on ne déracine pas les vieux arbres ", etc.. je n'ai pas besoin de vous expliquer. Maintenant, nous voilà ici, dit-elle en souriant à Grete. Vous aussi, et c'est votre bon droit. Si je peux vous donner un conseil : profitez de la vie à bord car nous ne savons vraiment pas ce qui nous attend à Shangai. .. Nous allons avoir besoin de toutes nos forces. Ne serait-ce que parce que personne ne nous y attend.
C’est une vieille sorcière. Elle passe toutes ses journées derrière ses rideaux à observer ce que les gens font.
Elle était sortie de sa vie comme elle y était entrée. Et de même qu'on oublie la chaleur de l'été lorsque les arbres prennent leurs couleurs d'automne et que les araignées se laissent porter par le vent au bout de leur fil, aussitôt que les feuilles mortes s'étaient mises à tourbillonner sous l'effet des premières tempêtes, il l'avait oubliée.
L’association a été dissoute ! Et si demain on en crée une autre sous un autre nom, elle ne fera pas long feu ! Qu’ils soient baptisés catholiques ou protestants, les Juifs convertis auront beau dire qu’ils n’ont rien à voir avec le judaïsme, ça ne servira à rien.
Il joue les philanthropes pour les citoyens de race pure. Il fait construire un lotissement dans le quartier du Harthof. Un lotissement à son nom. En voilà un qui se fait ériger une sacrée statue de son vivant. Il se pavane en ville dans son uniforme SS comme un coq dans sa basse-cour, et il suffit de tousser de travers pour se faire arrêter par ses sbires.