LE DÉSERT DE QUARTZ - George SCÎNTEIE*****
(poèmes traduits du roumain par
Gabrielle DANOUX)
Une première lecture en français et l'immersion fut instantanée dans une atmosphère, un univers du disparu où la nostalgie me guide en aveugle, éveille un à un mes autres cinq sens les démultipliant en brises, vents, sources, rivières et torrents. Effet paralysant par endroits, douloureux des fois, baume souvent nourrissant, comme une drogue, comme une chimère baudelairienne agrippée à mon dos l'air de rien.
Une deuxième lecture en roumain et une histoire ancienne s'ouvre en grand, les mots, leur chant, leurs sens cachés et la musique que j'entends s'imposent comme une évidence de la langue que j'ai eue en naissant. La musique est différente, chaque mot résonne avec sa charge d'influences que la langue a accumulées dans le grand carrefour de l'histoire des passages.
Le « dor », ce mot roumain qui touche la nostalgie mais dont les sens, très subtiles, sont multiples et dont parle si bien
Gabrielle Danoux dans son texte introductif, ce dor, disais-je est une présence qui accompagne depuis toujours l'esprit roumain, comme une respiration qui lui est propre, comme un temps aux ailes multiples, des désirs d'un passé ou d'un présent inachevés ou bien timides pour un avenir en traits à peine esquissés. « Nostalgie » est son équivalent en français dans la remarquable traduction sensible et très inspirée de
Gabrielle Danoux, un compagnon, complice, compère de route, un autre soi-même.
« Quelque part au loin
le vent court dans mon âme
tel un enfant après des papillons
il fait voler en éclats tout ce qu'il rencontre sur sa route
les âges de la jeunesse la buée de la félicité
les nuages des sourires et l'ombre des réussites
les joies s'étant discrètement glissées dans
un trop plein de tristesses
les saisons de l'amour et les nuits des échecs
la lumière de la lune des nuits d'attente
qui toujours tombait de travers... »p.167
Désert de quartz, précieux par ce qu'il cache et par ce qu'il nous dévoilera seulement après la traversée, après l'épreuve du vécu, ou au seuil d'un nouveau début d'une fin annoncée, précieux aussi par l'immense étendue de ses possibilités entrevues, devinées, inespérées et par le drôle d'oxymore qu'il devient.
« La vie comme une arche de
Noé
Les années se poussent dans une arche brisée
et chacune oublie sa propre gloire
ignore l'importance et l'intensité
des états vécus dans l'anonymat
et ne s'enquérant pas ...
...de quelle terre des illusions sera leur nouvelle carte
elles observent paisiblement ce début de désert…..
et je ne m'étonne guère que tant d'ombres demeurent
comme les traces d'escargot sur la planète
le monde commence à se dessiner autrement...
tandis que des vagues plus hautes que l'amour
enveloppent de lumière le silence... »p.165
Chaque vers, chaque mot dans son nouvel habit de soie, de maille, de velours ou de raphia né de la plume de George Scînteie vient avec sa part de beauté dans la construction d'un miroir, reflet philosophique et émotionnel du poète.
« j'avais quitté mon moi-même
dans une saison de l'aube
et dans mon sillage les paroles
sanctifiaient un bonhomme de neige dans le désert
avec toutes les plaies de l'instant enveloppées
dans l'aluminium invisible de la vie…
il me semblait que le monde est un oiseau
de paroles sorti d'un sablier
délivré par le temps
moi je suivrais l'ombre de la signification
de chaque pas d'un comptage précis
jusqu'au cercle du destin
désorienté par la direction »p.166
L'homme grain de sable, feuille jaunie par le temps, emportée par le vent, s'accroche à une étoile fait corps commun avec elle, s'identifie au cosmos tout entier et tente désespérément de faire un pied de nez au temps.
« doux infini
pour te toucher
je me suis mis en route...
je suis boiteux et j'ai mal aux étoiles
tuées dans le sable sous la semelle
de la sandale
mais je prends appui sur la lune et je me raidis
au maximum pour empêcher les roues du temps
de m'accorder un instant de finitude...»p.171
Paroles symboles, paroles mystère et métaphores, mouvement perpétuel des départs et retours des verbes à la recherche d'un temps, toujours lui, des questions suspendues en attente d'une réponse qui tarde à venir comme d'habitude, passé, présent, futur perdent une identification pour en gagner une autre à la fin.
Sublime manière de mettre l'éphémère dans l'éternité et le doute dans la certitude, d'accepter le jeu cruel du temps dans une tentative de l'apprivoiser mais pas pour l'assujettir mais pour l'avoir à son côté comme compagnon de route, comme appui dans des moments de faiblesse. L'échec est, peut-être, d'avance envisagé, mais il garde son inégalable éclat, son élégance et sa splendeur.
« pendant mon enfance
je me cachais en catimini dans une étoile
surtout les nuits d'été
après les pluies rapides qui me surprenaient dans les champs
j'avais l'arc-en-ciel dans l'âme
je le gardais précieusement à l'endroit du coeur
pour ressentir les battements des couleurs
comme un éventail du temps……………..
à présent je n'ai de cesse de la chercher et je ne la retrouve plus
peut-être m'a-t-elle abandonné
peut-être ai-je changé
ou bien elle s'est cachée comme moi en catimini dans
une autre enfance
dans laquelle sans cesse et confiant je me suis glissé
en m'évertuant à vivre l'éternité... »p.170
Sable fin d'un riche désert, fleuve immense refusant de se soumettre aux points, virgules et capitales, à la rigueur des rimes trop serrées, il coule lentement sans entrave et emmène dans son sillage la poésie son désespoir sa liberté et son retour sans fin.
L'immense plaisir de cette lecture a été nourri page après page par la belle musique des deux langues symphonie ignorant les frontières, par la traduction de
Gabrielle Danoux travail de grande sensibilité et finesse et par la découverte d'un poète de valeur.
Moult citations des poèmes de George Scînteie sillonnent mon billet et se font accompagner par une émotion qui, se mettant dans l'ombre, a ouvert en grand les portes pour accueillir le poète.
Un très grand merci Gabrielle pour ce beau cadeau.