Du temps pour le poète
De la poésie, j'en picore un peu, j'en goûte surtout sur Babelio grâce aux citations postées par des lectrices (accord majoritaire, mais je n'oublie pas les lecteurs) dont Tandarica qui m'a proposé de recevoir en PDF le recueil bilingue de
George Schinteie,
le Désert de Quartz, poète roumain dont je n'avais bien sûr jamais entendu parler, d'abord parce que je suis une bille, ensuite parce que « le roumain [la langue, le pays, ses habitants] n'a pas bonne presse (sic) dans les pays francophones », comme l'explique
Gabrielle Danoux, la traductrice, dans une interview donnée au Petitjournal.com qu'on trouve facilement sur Internet et où l'on découvre une passionnée originaire de Roumanie passée de la fiscalité à la traduction littéraire après l'écoute de la femme chocolat d'Olivia Ruiz, et dont la rencontre avec
George Schinteie s'est opérée sous le signe des monostiches — dont avec cette phrase interminable pour le moins je me démarque, sans qu'il faille voir un sens à cet élan, point. (Ouf)
Comme autrefois avec le méconnu
Mulukuku de
Nicolas Duffour, il m'incombe une responsabilité particulière, moins armé cependant que pour le commentaire d'un roman, mais heureusement aidé par un appareil de pré et postfaces qui enchâsse les poèmes, dont la préface — ardue mais passionnante de la professeure
Cristina Sava — qui m'a ouvert à l'
oeuvre suivant « un souffle de compréhension suggestive » (très belle idée).
Préface habitée de références à
Paul Ricoeur qui me ramènent comme le mouvement des vagues à ma lecture (et recension) récente de
la voie de la conscience de
Pierre Guenancia qui consacre le dernier chapitre au précité. Je pense aussi à « l'hospitalité langagière ». Traduire, écrit Ricoeur, c'est accueillir une autre langue dans la sienne, c'est aussi s'exiler, se faire autre pour comprendre. Et c'est bien ce dont il s'agit, dans le geste de la traductrice,
Gabrielle Danoux, redoublé par l'invitation lancée par Tandarica, son avatar (outing), à découvrir ce poète roumain, une voix dans sa langue.
Gabrielle l'écrit en postface : « J' 'habite', et c'est ma nouvelle ‘patrie', pour paraphraser
Cioran, la langue de la traduction : cette langue à la croisée des chemins, qui s'abreuve à deux sources linguistiques et s'enrichit constamment des créations de certains (les auteurs traduits), qu'elle façonne, avec un haut degré de fidélité, pour ma part, à destination d'un plus grand nombre encore (les nouveaux lecteurs). »
Cristina Sava cite aussi à cet égard l'historien de la littérature Nicolae Manoslescu : « La poésie n'est pas une pseudo-communication, mais une communication 'autrement' par rapport à celle réalisée par la langue elle-même au moyen des paroles et des relations qui s'établissent entre elles. »
La poésie circule ainsi dans cette relation entre subjectivité et intersubjectivité, tandis qu'au commencement « nous prenons place chacun sur un rivage / chacun avec sa propre mer. »
Je cite encore la préface : « On confirme ainsi la définition de la poésie proposée par Adrian Dinu Rachieru, comme "siginif[ant], à travers une domestication du coeur, un retour au soi et l'accès à elle, longtemps convoité, libérant la voix de l'âme, [qui] procure la miraculeuse rencontre de l'Homme avec son soi-même, en veillant sur l'implosion du langage dans l'Être. »
J'avais prévenu, la préface est ardue, mais la puissance de la poésie, en l'occurrence de celle-ci est de faire vivre simplement ce qui s'explique difficilement. Simplicité de l'expérience ou du sentiment, directement accessible, pour parvenir à un scintillement de significations. Là où il y a une conscience, il y a du sens, dirait le phénoménologue. Un retour aux choses-mêmes par lequel elles peuvent être partagées. Choses perçues qui se donnent par esquisses, choses vécues tel un absolu qui se livre tout entier.
La grande affaire c'est le temps. « Je portais une chemise temporelle / et je fourrais dans sa poche sur la poitrine / une poignée d'illusions. » La poésie s'y aventure, quand bien même « les paroles ont des ailes humides ». Elle est la conscience qui donne du sens où règne l'errance et son silence (différent de celui de la pénitence). Elle fait son chemin dans un rapport ambivalent au temps quand « chaque matin une pelote de temps / me roule vers l'infini. » Espère face à sa fuite : « mettons un frein au temps / me dit l'ange. » Un signe céleste, le tonnerre, peut alors fendre l'âge en deux, mais plus banalement, le temps est déchiré par un souvenir, un sourire, alors que « la soirée se presse contre les instants qui passent / comme les brebis dans le parc pour la traite. »
Et s'il est ennemi, il l'est indispensable : « le temps n'a de cesse de me chercher / pour que je m'allège de l'errance. » Les recueils publiés l'arrêtent alors, arrêtent un temps, celui du livre (« dans son format classique ») posé comme une marque, une trace, un cairn de papier.
Le sous-titre annonçait la couleur, ou plutôt la laissait entendre : « Poèmes au gré du vent. » de ce vent j'entends le temps. du titre, Désert de Quartz, en revanche (bémol) je n'entends rien. Étranges aridité et promesse d'arêtes aiguës, d'ambiances minérales, tandis que l'on sent la mousse et l'on imagine la pluie perler contre les vitres...
Pour conclure, une citation extraite de la postface du critique
Marian Odangiu : « L'art poétique de l'auteur tourne sur l'orbite de l'idée que, finalement, ce ne sont pas les mots qui meurent, mais leur contenu de réalité, tandis que le Poète est celui investi du don de fragmenter, au moyen de la poésie, pour un instant, leur ‘passage'. »
Merci de m'avoir fait découvrir
George Schinteie. Mais au fait, comment se prononce son nom ?
P.-S. : Un petit cailloux dans le jardin de la traductrice (ou de l'auteur, qui sait ?). Trop de « à l'instar » à mon goût...