Citations sur Les paroisses de Regalpetra - Mort de l'inquisiteur (2)
Pendant la fête, le bourg s'entoure comme d'une auréole d'odeurs grasses, une auréole rissolée d'agneaux bien gras. Il y a de l'agneau dans toutes les maisons, il pénètre les vêtements d'une vapeur grasse, il appelle le vin, un vin rouge et épais. Pendant ces jours-là, la tâche des gamins, secrètement instruits par leurs mères, est de surveiller leurs pères, pour éviter qu'ils ne s'enivrent ou au moins pour les ramener à la maison quand ils sont gorgés de vin. C'est une fête pleine de bagarres, qui éclate en rouges colères, en une sensualité désespérée. Tout est excessif, désespéré; on se saoule pour rouler sous la table, on passe la nuit sans dormir, pour trébucher le lendemain d'un sommeil bourdonnant.
Et quand je pensais qu'il y avait des paysans et des artisans de mon village, et de toutes les régions de l'Italie, qui s'en allaient mourir pour le fascisme, je me sentais rempli de haine. Ils y allaient parce qu'ils avaient faim. Je les connaissais. Il n'y avait pas de travail, et le Duce leur offrait le travail de la guerre. Ils étaient chargés d'enfants, désespérés; si cela allait bien, leur femme leur ferait trouver, à leur retour, trois ou quatre mille lires mises de côté; et le Duce les récompenserait bien avec une petite place d'huissier ou d'appariteur. Mais pour deux ou trois de mon village, la chose tourna mal, et ils restèrent en Espagne: ils moururent d'un coup de fusil en Espagne pour ne pas mourir de faim en Italie.