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Citations sur De la destruction comme élément de l'histoire naturelle (14)

Remarquable d'un certain point de vue, cette reconstruction allemande, qui est devenue avec le temps légendaire et, après les dévastations dues à l'ennemi, a abouti à une seconde liquidation, par paliers successifs, de l'histoire allemande qui avait précédé, cette reconstruction, par l'effort qu'elle a demandé et par le résultat auquel elle est parvenue, celui de créer une nouvelle réalité sans visage, a d'emblée barré la voie à tout souvenir ; elle a contraint le regard de la population à se tourner exclusivement vers l'avenir et l'a forcée à se taire sur tout ce qu'elle avait vécue.
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C'est pourquoi le regard que Kluge pose sur sa ville natale détruite est aussi, en dépit de toute détermination intellectuelle, celui, figé d'effroi, de l'ange de l'histoire, dont Walter Benjamin a dit que, les yeux écarquillés, il ne voit "qu'une seule et unique catastrophe, qui sans cesse amoncelle ruines sur ruines et les précipite à ses pieds. Il voudrait bien s'attarder, réveiller les morts et rassembler ce qui a été démembré. Mais du paradis souffle une tempête qui s'est prise dans ses ailes, si violemment que l'ange ne peut plus les refermer. Cette tempête le pousse irrésistiblement vers l'avenir auquel il tourne le dos, tandis que le monceau de ruines devant lui s'élève jusqu'au ciel. Cette tempête est ce que nous appelons le progrès."
p. 75
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Dans un essai qu'il dédie au journal du Dr Hachiya, d'Hiroshima, Elias Canetti se demande ce que signifie survivre à une catastrophe d'une telle ampleur ; et il répond qu'on ne peut s'en faire une idée qu'en lisant un texte qui, comme les notes de Hachiya, se caractérise par la précision et le sens de la responsabilité. "S'il n'était pas absurde, écrit Canetti, de se demander quelle forme de littérature est aujourd'hui indispensable, je dirais : celle-ci." On pourrait en dire autant de cette relation de Nossack, qui occupe une place singulière dans son oeuvre. L'idéal de vérité qui, dans son récit de l'effondrement de Hambourg, se dégage du texte, ou pour le moins d'amples passages du texte écrits avec une objectivité dénuée de toute prétention, s'avère, au vu de la destruction totale, la seule raison légitime de continuer à faire oeuvre de littérature. A l'inverse, tirer des ruines d'un monde anéanti des effets esthétiques ou pseudo-esthetiques est une démarche faisant perdre à la littérature toute légitimité.
p. 61
Elias Canetti, Die Gespaltene Zukunft, L'avenir divisé, 1972.
Nossack, Interview avec la mort.
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Au cœur de l'été 1943, durant une longue période de canicule, la Royal Air Force, soutenue par la 8ème flotte américaine, effectua une série de raids sur Hambourg. Le but de l'opération "Gomorrah" était d'anéantir la ville en la réduisant entièrement en cendres. Au cours du raid qui eut lieu dans la nuit du 28 juillet et débuta à une heure du matin, dix mille tonnes de bombes explosives et incendiaires firent larguées sur la zone urbaine densément peuplée de la rive de l'Elbe...
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L'aptitude des hommes à oublier ce qu'ils ne veulent pas savoir, à détourner le regard de ce qu'ils ont devant eux, a rarement été mise à l'épreuve comme dans l'Allemagne de cette époque.
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A la place, c'est l'autre phénomène naturel qui se réveilla avec une promptitude étonnante : la vie sociale. L'aptitude des hommes à oublier ce qu'ils ne veulent pas savoir, à détourner le regard de ce qu'ils ont devant eux, a rarement été mise à l'épreuve comme dans l'Allemagne de cette époque.
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Il n'est pas étonnant que dans le contexte de telles idées frisant l’invraisemblable, la stratégie beaucoup plus compréhensible de l'aera bombing, qui, malgré la faiblesse de sa précision, permettait d'ouvrir un front en quelque sorte mobile balayant le territoire ennemi, ait finalement rallié les faveurs et ait été adoptée par décision gouvernementale en février 1942, "(...) afin de détruire le moral de la population civile ennemie et, en particulier, celui des travailleurs de l'industrie". Cette directive n'était pas, comme on l'affirme généralement, née de la volonté de mettre rapidement un terme à la guerre par l'envoi massif de bombardiers ; elle constituait l'unique possibilité d'intervenir dans cette guerre. Outre qu'elles déploraient les victimes de leur propre camp, les critiques ultérieures dénonçaient principalement la poursuite acharnée du programme de destruction alors même qu'il était devenu possible d'organiser des raids sélectifs nettement plus précis, visant par exemple des fabriques de roulements à billes, des installations pétrolières et des raffineries de carburant, des nœuds et artères de communication - une méthode qui aurait provoqué, en un temps très court, ainsi que le note Albert Speer dans ses Souvenirs, la paralysie de l'ensemble du système de production.
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En dépit de sa fatale tendance à la sublimation philosophique et à la fausse transcendance, c'est le mérite incontestable de Nossack d'avoir été le seul d'entre eux à vouloir consigner avec aussi peu de fioritures que possible ce qu'il avait réellement vu. Certes, il arrive que, dans le constat qu'il dresse de l'effondrement de Hambourg, perce parfois la rhétorique du fatalisme, que le visage de l'homme soit sanctifié "grâce à cette brèche ouverte aux choses éternelles" (*), que les événements prennent pour finir la tournure allégorique des contes de fées.
(*) Nossack, Interview avec la mort, op cit., p252.
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Les récits des rescapés se caractérisent en règle générale par leur discontinuité, leur caractère singulièrement erratique, en telle rupture avec les souvenirs nés d'une confrontation normale avec les faits qu'ils donnent facilement l'impression de n'être qu'invention pure ou affabulation sortie d'un mauvais roman. Mais si ces relations de témoins oculaires paraissent mensongères, c'est aussi à cause de leurs nombreuses formules stéréotypées. La réalité de la destruction totale, qui échappe à la compréhension tant elle parait hors norme, s'estompe derrière des formules toutes faites comme «la proie des flammes», «la nuit fatidique», «le feu embrasait le ciel», «les puissances infernales s'étaient déchainées», «c'était une vision d'enfer», «le terrible destin réservé aux villes allemandes», etc. Leur fonction est de masquer et de neutraliser les souvenirs vécus qui dépassent le concevable.
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Les forçats envoyés en vêtements rayés dans la zone de la mort pour enlever les débris humains ne pouvaient se frayer un chemin jusqu'aux cadavres enfouis dans les abris anti-aériens qu'à l'aide de lance-flammes, tant les mouches bourdonnaient autour d'eux en essaims compacts et tant les escaliers et le sol étaient glissants de larves longues comme les doigts.
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