Citations sur La Terre est une marmite (10)
La cuisine est liée aux mots, et au monde des mots, d'une manière singulière. D'une part, manger et faire la cuisine sont des actes, presque les seuls, qui exigent la participation des cinq sens : on voit les plats, on sent leur odeur, on les touche, on entend les bruits de la cuisson, et on les mange. A cet instant même, toutes les portes de ce monde sont ouvertes.
La gourmandise, c'est être émerveillé par les charmes sensoriels du monde.
Alors, dans ce cas, qu'est-ce qu'un écrivain ? Pour moi, c'est quelqu'un qui pose beaucoup de questions. Peu importe si on arrive à obtenir des réponses. Les questions, on les pose, on y pense, et c'est cela qui est important.
Pourrait-on manger les nuages ?
Vous allez forcément me répondre que non. Mais au fond ? Si on veut, on mange bien la neige ou la pluie qui tombent ; or le nuage fait partie de ce cycle du mouvement de l’eau. Certaines civilisations ont inventé des plats qui portent le nom de phénomènes naturels. Même en France, le croissant ou les éclairs, si on y réfléchit bien, ce sont des lunes ou des éclairs que l’on mange. Je vais vous dire, en partant de cette question,j’ai récemment écrit un livre de recettes de plats préparés avec les nuages. C’est pas mal le métier d’écrivain, vous ne trouvez pas ?
Personnellement, je pense qu’une culture culinaire, c’est une langue. Elle a sa grammaire, avec l’utilisation de certaines épices et condiments, certains types de cuissons, et certaines associations de goûts. Une culture appréciera plus la combinaison de l’acide et du sucré, tandis qu’une autre sera plus friande d’amertume et de goûts torréfiés par exemple.
Si une culture culinaire est une langue, alors un repas peut être un texte, un plat une phrase, un ingrédient un mot.
Comme je vous l'ai dit, tout est lié. Tout ce qui fait notre monde se mélange comme des ingrédients dans la cuisine qu'est notre pensée. C'est très animé, et vous êtes la cuisinière, le cuisinier de votre pensée.
La terre est une marmite, et on y danse, arbres, poissons, animaux, l'eau, nous les hommes, les mots pour les nommer, avec pour assaisonnements les mystères de la vie et de la mort. "Quel plat se prépare ce soir dans cette marmite géante ?"
Parfois, il suffit de changer le nom d’un goût que l’on n’aime pas pour commencer à le trouver bon.
Toutes les cultures culinaires se valent pareillement. La différence, c’est qu’il y a des cultures qui ont plus écrit sur la cuisine que d’autres.
Les chefs cuisiniers m’inspirent une grande admiration, parce qu’il leur faut en permanence travailler avec ces deux exigences contradictoires : créer un plat qui peut plaire à tout le monde, tout en lui donnant un goût unique et reconnaissable entre tous, le goût de leur plat.
Je suis aussi le mélange de deux mondes, le monde du travail avec les mots et celui du travail avec les goûts.