Les Français me semblent avoir cultivé un rapport particulier à l’été, comme si l’été était, plus qu’une saison, une vie à part entière.
Nous sommes face à la saison qui nous fait ses adieux, ou que nous quittons nous-même, et les allers et retours du souvenir se déposent, comme des vagues, à chaque bouchée.
Mon plus long omiokuri aura été pour une personne qui habitait à côté du cimetière de Montparnasse. Nous nous étions quittés juste après une promenade, dans le quartier de Raspail. La personne a emprunté un chemin entre les parcelles du cimetière, sa silhouette devenant de plus en plus petite, avant de disparaitre entièrement. Cela m’a fait penser au soleil couchant, ou peut-être était-ce le soleil couchant que je contemplais un jour à Rome, depuis la terrasse de la Villa Médicis, qui m’a rappelé toutes ces expériences d’omiokuri que j’avais connues jusqu’alors. Le soleil se couche jusqu’à devenir presque indiscernable, irrémédiablement, tout comme la saison. Une fois le soleil disparu derrière la ligne d’horizon, sa lumière, quoique de plus en plus faible, comme une image persistante sur la rétine, demeure et nous éclaire quelques minutes.
La coutume de l’o-miokuri surprend souvent les Occidentaux en visite au Japon. Elle consiste à raccompagner la personne qui s’en va, comme cela se pratique dans beaucoup d’autres cultures, et comme elle s’est pratiquée longtemps dans les gares et les ports. Au Japon, cependant, elle ne concerne pas que les grands départs. En ce moment que je suis au Japon, ma mère reste sur le pas de la porte tous les matins quand je sors de la maison, et agite la main jusqu’à ce que j’aie tourné le coin de la rue. Dans les restaurants traditionnels de Kyôto, le chef et la patronne sortent chaque fois qu’un client quitte l’établissement, et continuent de le saluer jusqu’à ce qu’il ait disparu de leur champ de vision. Omiokuri, c’est “raccompagner (okuru) du regard (mi)”.