Le lecteur de ce livre se prend à vouloir absolument savoir ce qu'il va advenir de Stierlitz, un très haut dignitaire SS des services secrets, mais en réalité un agent des services soviétiques qui a réussi à s'infiltrer dans les rangs nazis de la première heure ; il poursuit donc sa lecture malgré les défauts saisissants de ce roman.
Que de lacunes en effet : D'abord, pour les amateurs d'histoire, si le rendu des relations entre les membres de l'élite SS proche du führer dans les tous derniers mois avant la chute finale du régime donne un éclairage intéressant, il devient vite apparent que l'auteur de ce livre a du, au moins en partie, son immense succès du temps de l'URSS, (et le fait d'avoir été si bien vu en haut lieu!) à sa capacité à faire de ses ouvrages des hymnes à la gloire du régime ; quitte à prendre quelques libertés avec la réalité. Par exemple, Stierlitz est montré, en passant, se mêlant, sur ordre de Staline, de sauver la ville historique de Cracovie de la destruction ordonnée par Hitler, comme si Staline prêtait la moindre attention à ce genre de risque pour la mémoire de l'histoire Polonaise, alors que sa volonté était au contraire de détruire toutes les bases de cette civilisation et les élites qui la portait, comme le montrent les massacres de Katyn, ou l'attitude de l'Armée Rouge devant Varsovie à l'automne 1944. le roman fourmille de détails de ce genre.
Par ailleurs, le lecteur est vite dépassé par la complexité de la relation des rapports entre les hauts dignitaires nazis, que l'auteur ne semble pas vouloir mettre vraiment à sa portée, en se contentant d'accumuler les détails. Il ne s'efforce du reste pas vraiment de fouiller la psychologie des personnages (y compris celle de Stierlitz lui-même), à l'exception trop rapide d'un soldat allemand, traumatisé par ce qu'on lui avait fait commettre d'atrocités sur le front de l'Est, et qui devient à un moment, par une réaction d'être humain blessé dans son être par ce qu'il voit, le "deus ex machina" de la situation sans issue dans laquelle se trouve le héros.
À cette exception très fugitive près, on ne peut que constater que l'auteur a, probablement pour des raisons idéologiques, perdu une merveilleuse occasion de représenter les Allemands dans la diversité de leurs réactions à une situation devenue catastrophique pour leur vie, ou plutôt leur survie quotidienne. Cette période où les armées allemandes continuent à se battre furieusement et à perdre des vies sans plus aucun espoir, et où la population ne donne, malgré sa situation invivable, à ne pas vraiment se révolter contre le régime qui la voue à l'enfer, constitue un mystère dont un écrivain digne de ce nom adorerait s'emparer vraiment.
Et ne parlons pas du lot d'invraisemblances : les services soviétiques auraient ils couru le risque de laisser une infiltrée en possession de renseignements extrêmement sensibles accoucher en Allemagne, alors que la révélation de son identité russe par les cris lors des douleurs de l'accouchement était de nature à mettre en péril une opération essentielle pour la position soviétique à l'égard des alliés dans la guerre ?
Cela dit, comme indiqué au début, le lecteur se laisse malgré tout porté par son envie de connaître le sort du héros.
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